Il croyait avoir ingéré des comprimés du diurétique Furosémide, il avait en fait absorbé des comprimés du somnifère Zopiclone (Imovane). Souffrant d’insuffisance cardiaque, ce nonagénaire marseillais en est décédé. Une enquête de l’ANSM est en cours et devrait déterminer comment une telle erreur de conditionnement a été possible et pourquoi les contrôles réalisés à chaque étape du conditionnement n’ont pas permis de déceler cette erreur. L’affaire, qui touche des médicaments produits par le leader mondial des médicaments génériques TEVA, soulève les enjeux de la traçabilité des produits de santé.
Une traçabilité d’autant plus primordiale que les transactions sont plus fréquentes lors de la fabrication de médicaments génériques : « Chez un génériqueur, on peut compter jusqu’à 15 à 20 étapes de fabrication depuis l’achat de la matière première, généralement en Inde ou en Chine, jusqu’à la vente en pharmacie, alors qu’il y en a rarement plus de 4 ou 5 pour les laboratoires qui fabriquent le médicament original » soulignait à ce sujet le docteur Sauveur Boukris auprès de l’AFP lundi.
Deux catégories de traçabilité existent : celle relative au dossier de lot (qui indique la matière première utilisée, sa provenance, le lieu de fabrication, les contrôles effectué, le lieu de conditionnement, le lieu de libération) et celle relative à la distribution de ce lot afin de savoir à qui les produits ont été délivrés. L’enjeu, c’est non seulement la sécurité des patients, mais également la lutte contre la contrefaçon, le contrôle des flux de médicaments et la capacité à rappeler rapidement des lots en cas de défaut de fabrication.
Quel encadrement ?
Le dossier d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) d’un médicament contient le détail des phases de production, de conditionnement et « tout changement dans le mode de production ou le lieu de celle-ci fait l’objet d’une nouvelle demande d’AMM » assure Patrick Bonduelle, directeur de la communication France chez Novartis.
Plus précisément, la traçabilité des médicaments est juridiquement encadrée par l’article L.5136-1 du Code de santé publique. Celui-ci a été complété par le décret n°2006-1497 du 29 novembre 2009 qui fixe les règles de matériovigilance et par l’arrêt du 26 janvier 2007 relatif aux règle particulières exercée sur certains dispositifs médicaux, suite à l’application de l’article L.5212-3 et R.5212-1 à R.5212.43. « Lorsqu’il procède à une transaction, un établissement pharmaceutique est tenu de conserver la date de la transaction, la quantité de produits, le fournisseur et le destinataire des lots. La traçabilité des lots s’effectue par voie informatique » détaille Philippe Lamoureux, le directeur général du LEEM.
De sont côté, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) émet des recommandations sous forme de codes de bonnes pratiques : l’un portant sur la fabrication des médicaments (BPF) et l’autre sur leur distribution (BPD).Les chaînes de production sont contrôlées en interne mais également par des agents des autorités de santé qui procèdent à des inspections dans les usines tous les deux ans environ.
« A chaque étape de la production, des contrôles sont obligatoires : lors de la réception des matières premières, puis à la fin de chaque étape pour passer à la suivante, les lots sont testés jusqu’à la finalisation de leur conditionnement. Les informations sont regroupées dans un dossier de lot et les médicaments ne quittent l’usine qu’après avoir obtenu une autorisation de distribution par un pharmacien de l’usine » relate Frédéric Bassi, membre de la Commission des Affaires Scientifiques du LEEM et Pharmacien Responsable chez Bristol-Myers Squibb. L’enquête de l’ANSM au sein du laboratoire de Teva devait déterminer à quel moment il y a eu défaillance. L’inspection conduite par quatre membres de l’Agence du médicament (ANSM) à l’usine de conditionnement du diurétique à Sens (Yonne), a toutefois pris fin mardi vers 18h30, sans qu’aucun dysfonctionnement n’ait été pointé. « Les quatre inspecteurs n’ont pas identifié de défaut ni dans l’organisation, ni dans les pratiques, ni dans l’équipement de l’usine », a indiqué l’ANSM mardi soir, notant que « l’enquête se poursuit par ailleurs avec les autorités judiciaires ». « Les comprimés de furosémide proviennent de Hongrie et sont mis en plaquettes et en boîtes dans cette usine » tandis que le somnifère « zopiclone provient d’Espagne », a en outre indiqué l’ANSM.
La technologie Datamatrix s’impose en France
En tous cas, pour éviter les erreurs de lors de la fabrication et la distribution des médicaments, la législation avait été renforcée en 2007. L’ANSM affecte des codes CIP (code d’identification de production) à 13 caractères et les boîtes doivent comporter un marquage en 2D Datamatrix comportant obligatoirement ce CIP13 ainsi que le numéro du lot et la date de péremption.
En fait, plusieurs techniques existent pour assurer la traçabilité de produits industriels, que sont par exemple les médicaments : le code QR, la Datamatrix, la RFID. Suite à une directive européenne datant de 2004, les laboratoires ont dû s’entendre sur un codage commun à adopter, le code-barres classique étant désormais dépassé. « En France, nous avons fait le choix de la technologie Datamatrix pour assurer la traçabilité des médicaments depuis le 1er janvier 2011 parce qu’elle est moins coûteuse que la RFID et mieux adaptée à la diversité de conditionnements » explique Philippe Lamoureux.
Sérialisation en vue pour 2017
« La Datamatrix permet d’être beaucoup plus complet qu’avec le code-barres » complète Frédéric Bassi. Il raconte que les laboratoires pharmaceutiques, les grossistes et les hôpitaux utilisent d’ors et déjà ce codage. Quant aux officines, « elles sont peu à peu en train de s’y convertir » décrit-il. La Datamatrix est un code-barres bidimensionnel qui se présente sous la forme d’une matrice constituée de points ou de carrés juxtaposés. Il permet d’encoder jusqu’à 2.300 caractères en un seul symbole et donc un grand nombre d’informations. Les professionnels de santé ont ainsi des indications sur le numéro du lot, sa date de péremption et son CIP 13.
Mais la réglementation en vigueur pour améliorer la traçabilité des médicaments n’en a pas terminé d’évoluer. La Direction européenne de la qualité du médicament et des soins (DEQM) impose l’entrée en vigueur de la sérialisation en 2017. C’est-à-dire que les emballages individuels devront être munis d’un identifiant de médicament unique (UMI) qui permettra aux distributeurs, grossistes, pharmaciens et patients de vérifier l’authenticité d’un produit par le biais d’une base de données UMI sécurisée.
Article mis à jour le 12.06.2013 à 8h11