Quand les conflits d’intérêts ne sont pas ceux que l’on croit
Dans un récent numéro (ci-dessous) du Canard enfin Déchainé, leur journaliste fait état de quelques petits soucis au plus haut niveau de l’Etat à propos de la re-nomination automatique de l’époux (Yves Lévy) de la Ministre de la Santé (Agnès Buzyn) à la Direction générale de l’INSERM (Institut National pour la Santé et la Recherche Médicale).
On parle de chantage à la démission au cas où les souhaits de Madame à propos de Monsieur ne seraient pas respectés. Conflits d’intérêts, tempêtent certains qui probablement espéraient le poste. Tempête dans une éprouvette, rétorquent d’autres, probablement plus proches du couple princier.
Nul prophète ne peut prétendre connaître la fin de cette originale pièce du boulevard parisien : peut-être que oui, peut-être que non…
Mais si on regarde les choses plus froidement, avec l’œil de l’entomologiste curieux des ébats de ses petites bêtes préférées, le clou du spectacle n’est peut-être pas là où l’on croit. Chaussons nos lunettes !
Après l’apothéose vaccinaliste, il semblerait que certaines positions ministérielles caricaturales posent enfin problème aux autorités en charge du sanitaire républicain. La Ministre de la santé et son époux, le PDG de l’INSERM, sont peut-être allés un peu trop loin. En effet, qu’une Ministre fasse passer une Loi obligeant à vacciner chaque année 800000 bébés (avec pas moins de onze vaccins) pour la plus grande satisfaction de l’industrie des vaccins (ça s’appelle constituer un marché captif) en faisant semblant d’avoir organisé une concertationcitoyenne est une chose. Que les vrais experts vraiment indépendants n’aient pas été consultés ou entendus en est une autre. Mais que son époux et PDG de l’INSERM appuie grossièrement cette Loi (ci-dessous) en est une ultime qui n’est pas banale. Que dit ce PDG ?
Voilà des propos fort suspects venant d’une Institution qui reçoit des financements de l’industrie des vaccins. Ce serait donc La science, une et indivisible, qui parlerait ainsi ?
Efficacité et innocuité scientifiquement prouvées ? La formulation est tellement ridicule qu’on a du mal à comprendre l’absence de réaction des mondes universitaires et médicaux. Mais au-delà de ce délicieux déficit intellectuel, il y a plus grave dans une République qui prétend ne plus admettre d’inadmissibles conflits d’intérêt. L’INSERM et son PDG – et donc son épouse est impliquée – ont des contrats volumineux, commerciaux et financiers, avec l’industrie des produits de santé, notamment l’industrie des vaccins. Il n’y a aucun doute ; et d’ailleurs on s’en flatte (ci-dessous) : l’INSERM et l’Industrie, main dans la main ! Bravo !
Au-delà d’un vocabulaire digne de l’épopée industrielle (partenariat, acteurs privés, transferts, savoir-faire, valorisation, promotion, innovation), on se permettra deux observations :
1) Les deux acteurs (le privé et le public) ont grand intérêt à ces partenariats : le public manque de financements pour ses labos de recherche en ruine et pour payer ses employés qui pleurent misère (l’industrie les lui apporte) et le privé peut ainsi orienter (détourner ?) la recherche publique vers des objectifs qui conviennent à ses perspectives industrielles et commerciales, et cela au moindre coût puisque ce privé ne subventionne que l’activité, et pas les infrastructures.
2) Que les deux acteurs mettent des moyens en commun peut être fructueux en termes de rentabilité et d’efficacité industrielle (et le Ministère peut s’en réjouir) mais chacun sait (à condition de connaitre l’histoire des sciences) que la perte d’indépendance des chercheurs (que ces contrats obligatoirement exigent) se paie lourdement en termes de fécondité et crédibilité scientifique : à titre d’exemples relativement bénins, des fraudes sont régulièrement dénoncées dans les labos de la recherche publique car la rentabilité et les « retours sur investissements » ont leurs exigences. On fait désormais du Diesel Volkswagen dans les labos de la recherche publique financés, en grande partie, avec les impôts des citoyens. Il ne faut pas se plaindre, c’était écrit.
Inversement, c’est 100% gagnant pour l’industriel qui peut en outre se présenter comme un bienfaiteur de la recherche médicale. En l’occurrence (ci-dessous), c’est l’INSERM lui-même qui en organise la publicité gratuite, comme si la démarche de l’industriel était philanthropique.
Qu’est-ce que l’AVIESAN ? Une sous-marque de l’INSERM ?
En bref, c’est une plate-forme public-privé dirigée par Yves Lévy visant à développer des collaborations fructueuses avec l’industrie dans divers domaines de la recherche médicale, notamment l’immunothérapie. Difficile de faire mieux dans la chronique «liens d’intérêt possiblement conflictuels» ! Le cordon politico-sanitaire est soudain invisible et inopérant.
Mais ça ne gêne pas le Ministère, bien qu’en charge de transparence et d’indépendance; et on sait pourquoi : Madame la Ministre ne va pas faire un croche-pied à son époux.
Un Conseil Stratégique des Industries de Santé (CSIS) est aussi à la manœuvre. « Une avancée majeure dans les relations entre le public et le privé » se réjouit le PDG de Sanofi. Evidemment.
Interlocuteur privilégié ! Structuration de dialogue ! Continuum public-privé ! Si ce ne sont pas de robustes liens d’intérêt impliquant le Service Public, de quoi s’agit-il ? Et aussi « Des échanges fructueux liés à cette collaboration vont permettre de stimuler l’innovation ». Pourquoi pas ?
Mais dix années d’activité intense de l’AVIESAN ont elles conduits à une amélioration des soins prodigués aux bons citoyens ? Pas évident ! Il faut vérifier !
L’immunothérapie ce n’est pas seulement les vaccins ; c’est aussi le domaine de l’oncologie comme indiqué ci-dessous.
L’immunothérapie moderne comporte en effet deux branches principales.
- Une de ces branches est celle de l’infectiologie (ci-dessous, l’hépatite virale) avec les vaccins bien sûr dont Sanofi est l’un des champions mondiaux. Mais c’est un domaine qui n’est pas dépourvu de risque comme le montrent la forte suspicion des français vis-à-vis de l’efficacité et de l’innocuité des vaccins en général et les difficultés du Dengvaxia, le vaccin Sanofi supposé miraculeux contre la Dengue. Urgent que le Ministère aide l’industriel !
- La deuxième branche principale est la cancérologie (ou l’oncologie) avec par exemple le développement d’anticorps monoclonaux anticancéreux (ci-dessous). C’est un des grands espoirs de l’industrie pharmaceutique pour retrouver une forte croissance.
- Il y a aussi des anticorps visant à diminuer le cholestérol (encore avec Regeneron). Mais les perspectives commerciales pourraient être bien moindres que prévues (ci-dessous).
Urgent que le Ministère encourage cet industriel patriote en difficulté.
Conclusion : vu d’un Ministère des Industrie des Produits de Santé, tout cela est magnifique et ne saurait être découragé. Quel beau spectacle de voir ainsi nos chercheurs et enseignants-chercheurs travailler au service de l’innovation technologique et industrielle. Nos impôts contribuent au développement de nos industries. Nous participons ainsi tous et collectivement à la lutte contre le chômage et à la dure bataille contre les concurrents américains et asiatiques.
Où est le problème ?
Il ne devrait pas être nécessaire d’expliquer. On va le faire quand même un peu pour les retardataires. Les industries des produits de santé sont soumises à une concurrence sauvage dont la traduction clinique est très simple : il est impératif de susciter la confiance de l’actionnaire-investisseur (sinon il va ailleurs et l’industriel concerné s’effondre) et pour cela il n’y a qu’un seul moyen : produire de la valeur, des profits et surtout distribuer des dividendes ! C’est une question de vie ou de mort ; à court ou moyen terme. Et les gouvernements, dont les politiciens sont parfois (souvent) actionnaires des industriels locaux, aident, protègent et encouragent leurs champions nationaux ; avec du développement industriel local et des emplois locaux grâce à leur patriotique volontarisme.
Pourquoi se plaindre ?
Inutile de faire un cours d’économie internationale : la contrainte reste telle pour les industriels des produits de santé (et les autres) face aux concurrents asiatiques ou américains que leurs employés [qui généralement n’ont pas prêté le Serment d’Hippocrate] disent tout et font n’importe quoi pour développer ou sauver leur société et préserver leurs salaires, leurs primes et parfois leurs emplois. C’est la Loi de la Jungle, tout le monde le sait.
Tant qu’il s’agit de fabriquer et vendre des parapluies ou des machines à laver, les clients peuvent se plaindre, ce n’est pas trop grave.
Mais dire tout et faire n’importe quoi en matière de santé est une autre histoire, chacun le sait, surtout les médecins et leurs patients.
Depuis longtemps – les scandales sanitaires se répètent : coxibs, Médiator et autres – des protections ont été érigées pour séparer les intérêts primaires des industriels et ceux des patients ou des familles qui sont parfois (pas toujours) radicalement divergents.
Des Règlementations et des Lois d’une flagrante ambiguïté (ci-dessous) ont été élaborées pour protéger les citoyens. On y parle d’indépendance, d’impartialité et de transparence. Mais on admet immédiatement que des liens d’intérêt – donc une possible (voire probable) perte d’indépendance et d’impartialité – ne sont pas obligatoirement conflictuels ; mais ils peuvent l’être.
Donc, nécessité d’une sorte de cordon sanitaire républicain ; c’est le minimum !
Nous avons malheureusement appris que cette loi de 2011 ne garantit en rien l’indépendance et l’impartialité des décisions prises en matière de santé. Si l’Etat (par son Ministre de la Santé) ou les Institutions qui le représentent (par exemple l’INSERM) sont eux-mêmes impliqués dans le développement industriel des produits de santé et la compétition internationale, ils ne peuvent évidemment se soumettre à la moindre transparence, et ne peuvent donc garantir ni indépendance, ni impartialité.
La nouvelle Loi d’obligation vaccinale est l’illustration parfaite de ce naufrage éthique, académique, institutionnel et juridique. On voit donc immédiatement que, outre une transparence totale, il y a nécessité d’une Autorité indépendante susceptible d’arbitragesquand des intérêts divergents se font face.
Dans les pays démocratiques (et avant le recours aux Tribunaux), l’arbitre entre des intérêts possiblement conflictuels [ici il y a d’un côté, la santé de chaque individu et de l’autre la santédes industriels] c’est l’Etat ; c’est-à-dire, pour la question qui nous occupe ici, le Ministère délégué aux problématiques de Santé Publique.
Il est clair que l’actuelle Ministre de la Santé ne peut pas être arbitre puisqu’elle est elle-même, au minimum via son conjoint, fortement liée aux intérêts de l’industrie des Produits de Santé. On ne peut pas être juge et partie dans une démocratie car personne ne peut être juge de sa propre cause. La seule issue est sa démission et le plus tôt sera le mieux. Même chose pour son conjoint car en matière de recherche en santé [où les enjeux financiers sont gigantesques], nous avons aussi besoin d’arbitres totalement libres de tout lien d’intérêt avec le secteur industriel et commercial.
Cela ne veut pas dire qu’il faille blâmer ou empêcher de travailler le Pr Yves Lévy dont on ne peut qu’admirer les multiples activités, par exemple dans le cadre de l’Institut de Recherche Vaccinale (VRI) qu’il dirige (ci-dessous).
Pour développer des nouveaux vaccins et autres produits de santé, la participation d’industriels est absolument indispensable. Et l’Institut de Recherche Vaccinale du Pr Yves Lévy doit lui-aussi faire appel à des industriels (ci-dessous).
Mais, comme souligné plus haut, les industriels ne sont pas des philanthropes ; ils sont dans un monde concurrentiel où pour survivre et se développer, c’est une banalité, tout est permis, c’est-à-dire dire tout et faire n’importe quoi.
Les initiatives du Pr Lévy ne doivent pas évidemment interférer avec la façon dont les budgets de la recherche publique sont distribués aux équipes de chercheurs dont la diversité, indépendante de tout enjeu commercial, fait la force principale.
En d’autres termes, Le Pr Lévy ne devrait pas pouvoir influencer, financièrement ou autoritairement, les orientations de la recherche publique. Ses activités scientifico-industrielles, aussi honorables soient-elles, sont incompatibles avec la Présidence d’un Institut National de Recherche Publique comme l’INSERM. Car les recherches les plus fructueuses sont presque toujours conduites par des scientifiques indépendants et libres.
Les exorbitants pouvoirs actuellement détenus par le Pr Lévy et son épouse sont incompatibles avec la garantie d’une totale indépendance (et fécondité) des chercheurs.
La seule issue est la démission du Pr Lévy de la présidence de l’INSERM et le plus tôt sera le mieux.
Pour autant, il ne faut pas contrarier les collaborations public-privé qui ont été développées. Au contraire, il faut les encourager et il serait incongru de ne pas féliciter le Pr Lévy ; et aussi son épouse qui, de façon plus ou moins directe, participe à ces activités.
Mais ces initiatives multiples – scientifiques certes ; mais aussi obligatoirement industrielles notamment dans le domaine des vaccins, par exemple – ne doivent pas, et sous aucun prétexte, influencer les Autorités Sanitaires et encore moins le Législateur. Comme ce fut le cas récemment.
Le prochain Ministre de la Santé et le prochain PDG de l’INSERM devront non seulement être totalement indépendants des industries des produits de santé ; mais ils devront aussi avoir été totalement indépendants des intérêts défendus par le couple Buzyn-Lévy.
On ne remplace pas des suspects par leurs grands cousins ou petits neveux.