Entre 500 000 et 1 million de malades de la thyroïde ont abandonné entre mars 2017 et mars 2018 leur traitement au Levothyrox nouvelle formule.
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Les effets secondaires très lourds causés par cette nouvelle « recette » du médicament depuis qu’elle a remplacé l’ancienne — il y a un an — ont forcé le ministère de la Santé à mettre temporairement sur le marché une version du Levothyrox d’origine, présente à l’étranger, sous l’appelation Euthyrox, puis des génériques et traitements à base de gouttes d’hormone pure.
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Aucune explication scientifique n’a pu jusque là être apportée pour expliquer cette crise sanitaire : le laboratoire Merck comme l’Agence de sécurité du médicament (ANSM) ont toujours maintenu que seuls deux excipients avaient remplacé l’ancien, et que cette modification ne pouvait par entraîner les complications de santé rencontrées par les malades.
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Devant le refus des autorités de santé de reconnaître la crise sanitaire, leur refus de remettre sur le marché le Levothyrox d’origine, des patients ont porté plainte soutenus par des associations de malades de la thyroïde.
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La plupart des malades ne sont toujours pas revenus à l’équilibre hormonal que leur offrait le Levothyrox ancienne formule — ni bénéficié d’une disparition des symptômes —, même si les effets secondaires les plus importants se sont réduits avec des génériques ou des traitements à base d’hormone thyroïdienne pure (gouttes et gélules). C’est dans ce contexte de statu quo, où le ministère de la Santé et l’ANSM aimeraient fermer ce dossier encombrant, que l’association française des malades de la thyroïde (AFMT) est venue manifester devant l’Assemblée nationale et le ministère de la Santé ce mercredi 2 mai 2018. A cette occasion, l’association a annoncé en conférence de presse qu’elle avait fait analyser des comprimés de Levothyrox ancienne et nouvelle formule et que ces derniers contenaient des nano-particules de métaux, dont des métaux lourds : fer-chrome, chrome-nickel, fer-chrome-silicium, ferrochrome-aluminium. Ces analyses, effectuées dans deux laboratoires privés vont être transmises à la justice par l’avocate de l’AFMT. Le laboratoire Merck, pour sa part, dément formellement la présence de nano-particules ou de « débris d’acier » dans le médicament.
Jacques Guillet, spécialiste de médecine nucléaire et biophysicien a eu cesrapports d’ analyses entre les mains et constaté la présence de ces nano-particules de métaux. Entretien.
Les rapports d’analyse que vous avez lus indiquent des nano-particules de métaux lourds dans la nouvelle formule du Levothyrox mais qui ne sont pas présentes dans l’ancienne. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Ce sont des quantités très faibles, mais au cours d’une chaîne de fabrication d’un médicament, il y a bien entendu des machines avec des pièces métalliques. Donc, qu’il puisse y avoir, au cours des préparations, des fragments métalliques seulement visibles au microscope, ça ne me paraît pas surprenant. Au cours du procédé de fabrication, le principe actif, les excipients, sont mélangés, préparés, mise en forme en passant par des machines où immanquablement il y a du métal. Donc des nano particules peuvent se détacher au cours de la préparation. Dans les cachets de l’ancienne formule du Levothyrox, il y a aussi des nano particules de métal, mais d’acier seulement, ce ne sont donc pas les mêmes, ce n’est pas le même profil. Ces différences sont avant tout un indice de changement de procédé de fabrication qui amène à s’interroger : il faudrait chercher plus loin dans cette nouvelle formule pour avoir des explications sur la chaîne de fabrication.
Les nano traversent les barrières naturelles du corps, passent directement dans le sang : quels effets ces nano-particules de métaux lourds peuvent-elles avoir sur le métabolisme, ingérées chaque jour par des malades, même en très petite quantité ?
Excellente question, mais je vais vous répondre en reprenant votre phrase : «qu’est-ce que ça peut faire à la longue ? » On parle de nano particules depuis finalement pas si longtemps que ça et dans ces conditions, qu’est-ce qu’on appelle « à la longue » ? Pour l’instant, apparemment, pour ce type de particules là, il n’y a aucune donnée scientifique validée qui permette de répondre à cette question. Ce que l’on peut quand même dire, c’est que les nano particules s’accumulent dans le sang ou ailleurs dans le corps, mais pour les nano particules métalliques je ne sais pas quoi en penser. On est dans un domaine où on ne sait rien.
Peut-on lier directement les symptômes (crises d’angoisse, pertes de cheveux, fatigue extrême, douleurs articulaires, douleurs musculaires, troubles intestinaux) décrits par les patients avec l’ingestion de ces nano-particules de métal ?
Je ne pense pas que ça puisse produire aussi rapidement les effets qui ont été observés, c’est totalement impossible.
Mais un métal en nano-particule peut-il avoir des effets particuliers s’il est mélangé à une hormone? Le dosage hormonal du médicament peut-il être par exemple modifié par ces nano ?
Pour les nano particules au niveau cellulaire avec l’hormone en comprimés il faut savoir qu’elles sont rares : ce ne sont pas des comprimés plein de nano-particules. Il faut imaginer que l’hormone thyroïdienne va dans toutes les cellules de l’organisme et la part de nano-particules présentes dans le cachet est infime par rapport au nombre de cellules qu’il y a dans l’organisme. Je ne vois pas comment une modification pourrait s’opérer à cette échelle.
Comment expliquer que la plupart des patients qui n’ont jamais connu l’ancienne formule et ont pris directement la nouvelle sont très peu touchés par les effets secondaires qui affectent les patients de l’ancienne formule ?
On a changé la formule du Levothyrox parce que selon l’ANSM, la levothyroxine contenue dans le comprimé se dégrade et donc crée des risques de sous dosage. L’association des malades de la thyroïde conteste cette meilleure conservation avec le nouvel excipient, le mannitol, comparé à l’ancien, le lactose. Mais l’Etat s’est servi à tort de cette affirmation pour demander le changement de formule.
Si on suit le raisonnement, la charge en levothyroxine donnée par la nouvelle formule devrait être plus importante à ce qu’il y avait avant (dans l’ancienne formule, ndlr), et dans ces conditions la TSH baisse, ce qui est logique. Mais ce qui est illogique c’est que quand on passe de l’ancienne à la nouvelle formule on constate au contraire un nombre de déséquilibres avec une TSH (Le taux de l’hormone qui est sécrétée par l’antéhypophyse et qui permet la sécrétion d’hormones thyroïdiennes, ndlr) qui monte au delà de tout ce qu’on pouvait prévoir. Ca ne colle pas, et j’ai du mal à penser que les nano particules de métal puissent faire quelque chose à ce niveau là, c’est impossible.
Il faut donc chercher d’autres explications. De façon purement théorique j’ai quelques pistes. Dès le mois de septembre 2017 j’avais demandé au comité de suivi que des travaux de recherche soient effectués, parce qu’on a créé une situation quasi expérimentale en imposant à 3 millions de personnes un changement de formule. Ma question est : quel peut-être l’effet des excipients sur le microbiote intestinal ? Puisque c’est juste à la sortie de l’estomac, avec un mannitol qui serait utilisé en nano-particules dans la production du cachet, il y a quelque chose d’intéressant à comprendre. J’ai cherché dans la littérature scientifique mondiale et jai trouvé deux papiers qui indiquent que les composés de type mannitol peuvent perturber le tube digestif et que même aux doses d’excipients il peut y avoir des effets possibles. Et on ne parle pourtant pas de mannitol en nano-particules…