Conflits d’intérêts en santé : une transparence bien trouble

SANTÉ

La Cour des comptes rend un rapport relevant des « failles majeures » dans le système de prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire.

Le contrôle des liens d'intérêts entretenus par les experts du domaine médical avec l'industrie pharmaceutique est insuffisant selon un rapport de la Cour des comptes.

Le contrôle des liens d’intérêts entretenus par les experts du domaine médical avec l’industrie pharmaceutique est insuffisant selon un rapport de la Cour des comptes. ©SIERAKOWSKI FREDERIC/ISOPIX/SIPA

La transparence sur les liens entre l’industrie pharmaceutique et les experts dans le domaine de la santé est encore bien insuffisante, critique la Cour des comptes dans un rapport mis en ligne mercredi 23 mars 2016 relevant des « failles majeures ». Cette juridiction indépendante dresse un premier bilan de la loi du 29 décembre 2011, dite « loi Bertrand », intervenue après l’affaire du Mediator. « Malgré son ambition » et tous les progrès réalisés, le dispositif de transparence institué par ce texte de loi présente des « failles majeures ». Dans ce rapport commandé par la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes cite pêle-mêle « l’absence de contrôle des informations déclarées » par les experts, « des sanctions pénales sans réelle portée », ou encore une « interprétation très restrictive des avantages consentis par les industriels aux professionnels de santé ». En bref, la volonté d’enrayer l’étiolement de la confiance citoyenne en passant par une plus grande transparence est là, mais ne se dote pas des moyens de contrôle nécessaires à sa réalisation.

Anomalies sur les obligations déclaratives

Ainsi, le site Transparence-Santé.gouv lancé en 2014 sur lequel les médecins sont appelés à déclarer leur liens d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques n’est pas contrôlé. Or le rapport rappelle que « se dispenser délibérément de rendre publics les conventions et les avantages directs et indirects [sur ce site] est passible de sanctions ». Mais dans les faits, chacun déclare ce qu’il veut, sans contrôle strict.

En effet, la vérification dans cinq organismes, dont l’agence du médicament ANSM, montre de « fréquentes anomalies, qu’il s’agisse du respect des obligations déclaratives, de l’analyse des liens d’intérêts et des modes de gestion des conflits d’intérêts, de la publicité des séances ou du contenu financier des conventions passées avec les professionnels de santé ». La Haute autorité de santé (HAS), le Comité économique du médicament (CEPS), l’Institut national du cancer (INCa) et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) sont les quatre autres organismes enquêtés.

Instaurer un « contrôle effectif »

A titre d’exemple, pour l’ANSM, la Cour a relevé sur 612 experts, membres de commissions, un taux d’anomalies de 7 %, essentiellement par défaut de mise à jour des déclarations publiques d’intérêts (DPI) dans le délai réglementaire. En revanche, elle pointe des « anomalies » dans le recours à des experts pour la fixation du prix du Sovaldi, un antiviral contre l’hépatite C, marquées par l’absence de publication de leurs déclarations d’intérêts (rémunérations, gratifications, etc.). La remarque vise le CEPS qui fixe le prix des médicaments, et l’ANSM qui a argué de son « incapacité à trouver des experts de compétence équivalente, sans conflit d’intérêt ».

« Le secteur sanitaire représente des enjeux financiers et économiques considérables : selon les Comptes nationaux de la santé, la consommation totale de soins et de biens médicaux a atteint, en 2014, 190,6 milliards d’euros (MdEUR), la dépense de médicaments (hors établissements de santé) s’établissant pour sa part à 33,9 MdEUR (17,8 % du total) et celle en dispositifs médicaux à 13,8 MdEUR (7,2 % du total) », souligne la Cour qui émet dix propositions pour améliorer la situation en instaurant notamment « un contrôle effectif » de la véracité des déclarations d’intérêt par une instance indépendante.

Les failles constatées par la Cour des comptes font écho aux récentes révélations concernant le Pr Michel Aubier, éminent pneumologue qui n’avait pas déclaré des liens d’intérêts avec l’entreprise Total, alors même qu’il avait minimisé plusieurs fois les effets de la pollution au Diesel sur la santé pulmonaire.

Avec AFP

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