SYSTÈME DE SANTÉ : LE PIRE EST À VENIR

 

Système de santé : le pire est à venir

Le pire est à venir, car ce qui est en train de se construire sous nos yeux est un modèle économique qui a besoin de malades…

et c’est à nous, professionnels de santé, d’alerter à ce sujet, pour le bien de tous.

Résumons :

L’Europe et sa population vieillissante, avec l’explosion des maladies chroniques, désigne le secteur de la santé et de la silver economy comme étant un vecteur majeur de croissance économique. La France, auréolée de son image de meilleur système médical du monde entend bien y jouer son rôle. Elle fait le constat que tout un pan de ce secteur économique est bénéficiaire et échappe aux grands groupes financiers (le secteur libéral). Elle est par ailleurs liée aux groupes d’assurance qui détiennent sa dette à hauteur de quelques 20% , et avec les banques, qui commercialisent aussi des assurances, détenteurs de 10% de la dette. Le monde politique et le monde des assurances complémentaires affichent des liens puissants.

Les lois commencent alors à s’empiler, tous gouvernements confondus, pour favoriser la transformation du « système de santé » en « marché du soin ». (loi Santé, loi Le Roux, accord ANI…) Le patient est doucement conduit à se comporter en « consommateur de soins », donc en client. (cf travaux de Philippe Batifoulier). 60 Millions de consommateurs s’empare du sujet. Les réseaux, les plateformes commerciales de santé, voient le jour sans encombre. Ils surfent sur la vague de la peur et de la méfiance. (cf d’autres articles, à venir…) Les frais de fonctionnement de ces structures sont un prélèvement direct sur la quantité d’argent que consacrent les patients à leur santé. Ces structures censées aider la mise en relation des patients avec leur soignants sont en fait une entrave au libre choix du praticien. Les frais des complémentaires santé, souvent 4 à 5 fois plus élevés que ceux de la sécurité sociale sont une autre amputation de cette quantité d’argent. Des centres dentaires fleurissent, usant de publicité sans vergogne. Ils fonctionnent sur un mode commercial et déloyal que l’on connait tous, sous l’oeil passif de l’Etat via les ARS (l’exemple emblématique : Dentexia). Ces centres concentrent les praticiens dans les villes, le maillage territorial disparait.

L’avènement du tiers-payant généralisé permettra d’occulter le glissement vers le privé des prises en charge, le désengagement de la sécurité sociale au profit des complémentaires santé. La privatisation de notre protection sociale est en route. Les cotisations seront variables, fonction du risque calculé, et non plus des possibilités financières. Hérédité et comportements privés seront analysés, les patients seront responsabilisés. La solidarité, (chacun paye en fonction de ses possibilités et reçoit en fonction de ses besoins) ne sera plus le principe de base de notre protection sociale.

L’Europe toujours, travaille à rendre possible la libre circulation des personnes, et donc l’exercice des différentes professions existantes, dans chaque pays de la communauté. Un hygiéniste bulgare doit pouvoir exercer son métier en France, même si ce métier n’existe pas ici. On ne parle plus de profession réglementée, mais de champ de compétence. La France saisit l’occasion d’ouvrir à l’accès partiel les exercices des professions médicales. Les soins à basse valeur ajoutée pourront ainsi être réalisés par des personnes moins qualifiées, à des tarifs plus bas.

Les praticiens de santé se voient méprisés et dévalorisés aux yeux du grand public. Même les publicités éliminent le professionnel du soin de leur spots, c’est maintenant l’expert qui parle. Le soignant est derrière son écran. Aucun média pour mettre en valeur le travail des chirurgiens-dentistes et la baisse de l’indice CAO…On prépare l’opinion à accepter l’avènement de la télémédecine. On favorise toutes les start-up qui créent des solutions d’e-santé, donnant la possibilité de se passer des praticiens de santé, trop chers. On prévoit de dévier l’argent rémunérateur des professions de santé vers les start-up, pourvoyeuses de croissance, que l’on finance et encourage au maximum.

Ce faisant, on collecte les données de santé. Orange avec sa filiale Healthcare annonce son projet de devenir le leader de la collecte et de la protection des données de santé en Europe. Un marché considérable! Car une donnée de santé, contrairement à toutes les autres données, est toujours fiable. On ne triche pas avec sa santé. Les données de santé représentent le vrai trésor de guerre. Et ce trésor n’appartient pas au patient… l’argent généré par ses propres données, il n’en verra rien, car cela concerne le corps, et le corps n’est pas patrimonial. On lui explique juste que cela lui permettra d’être mieux soigné.

Pendant ce temps, aucun financement n’est dévolu à la recherche concernant tous les domaines de l’organisation, des relations, de l’humain dans le soin, des sciences sociales. La seule variable d’ajustement est la pression sur les professionnels de santé dans les structures. La fameuse efficience, prônée par les administratifs sur les gens de terrain, celle qui oublie qu’on travaille avec des humains, et celle qui conduit auburn-out…Pendant ce temps, la France dégringole en 2017 au 15 ème rang mondial du classement des systèmes de santé. Pendant ce temps on invente le « virage ambulatoire », l’hospitalisation à domicile, on transfère une partie de la prise en charge des patients sur les aidants. Quid des personnes seules?

L’économie gagne. Le patient, comme le soignant, perd.

Les centres de soins qui communiquent sur la qualité oublient de dire qu’il ne s’agit pas de qualité des soins… Les tarifs bloqués sur les soins à des montants sans rapport avec la réalité économique vont de pair avec démotivation et désengagement des soignants, et donc avec  une prise en charge de moindre qualité. On tire sur le temps passé, sur les fournitures, sur les formations des soignants. Des écoles privées cherchent à s’installer, on peut penser que l’Etat apprécierait d’avoir moins de frais pour la formation des nouveaux praticiens. D’ailleurs où en sont nos facultés actuelles? Quel chirurgien-dentiste se sent à l’aise en implantologie au sortir de la fac?… L’implantologie fait pourtant maintenant partie intégrante de notre arsenal thérapeutique.

En dentaire les soins mal conduits sont à reprendre dans les années qui suivent. Une aubaine pour les pourvoyeurs de soins qui seraient en manque d’éthique, et une  justification facile pour les complémentaires qui ont besoin de revoir leurs cotisations à la hausse. Cela entretient le sentiment d’impuissance de la population, qui intègre les soins dentaires répétitifs comme une fatalité inévitable. Cela nous conditionne à accepter d’autant mieux les contrats permettant un reste à charge nul, même avec des hausses de cotisations.

La population est aveuglée par la gratuité des soins…Les praticiens salariés sont interchangeables, la relation de confiance praticien-patient ne peut plus s’établir. La médecine pour le tout venant ne tient plus compte des besoins médicaux des patients, mais des besoins économiques. Le colloque singulier disparaît, le secret médical avec lui. L’exercice libéral tel que nous l’avons connu est en voie de disparition. On sacrifie la santé publique, la médecine scolaire, la médecine du travail. Les crises sanitaires sont traitées à coup de mesures court-terme. Les patients sont culpabilisés, rendus responsables de leurs pathologies, alors même que nous connaissons une explosion des maladies chroniques d’origine environnementale. Les habitants de Fos sur Mer sont-ils vraiment responsables de leurs cancers? Les enfants sont-ils responsables des MIH que nous diagnostiquons de plus en plus, en lien avec les perturbateurs endocriniens? Les praticiens sont-ils responsables des difficultés de soins que causent ces MIH? Qui va financer les dégâts des pollutions qui dégradent notre environnement et augmentent le nombre de malades?

Dans ce monde qui a besoin de malades pour tourner, on oublie la vraie prévention, pour ne faire que du dépistage. On oublie que la santé n’est pas qu’une affaire de soins, mais d’abord de conditions de vie. On oublie que la guérison n’est pas qu’une affaire de protocoles et de molécules, ni maintenant d’exploitation des données, mais aussi de relations humaines…

Un marché du soin médical dans notre monde économique en éternelle recherche de croissance, cela n’a pas de sens.

Un marché du soin médical pour croître a besoin de toujours plus de malades et de pathologies…

Nous refuserons, nous, soignants, cette construction qui va à l’encontre de notre raison d’être et de l’intérêt de la population.

Nous militerons pour améliorer la qualité de nos soins précoces, la prévention dans son ensemble.

Nous militerons pour une réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. La prévention et les soins précoces de qualité doivent être accessibles à tous.

Nous militerons pour informer la population de nos engagements, et de nos résultats.

Nous militerons pour développer aussi, aux côtés des techniques issues des sciences du numérique, les avancées rendues possibles par les recherches du domaine des sciences sociales.

Nous assumerons notre rôle de soignants, main dans la main avec les patients, pour gagner la confiance sans laquelle la relation de soin ne peut pas se construire, et pour hisser à nouveau la France au rang de premier pays au monde dans le domaine de la santé.

 

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Merci à Sylvie Ratier, juriste du SFCD et au Dr. Nathalie Ferrand, qui effectuent sans relâche un remarquable travail de décryptage de ces mécanismes.

Merci au Dr. Nicolas Dritsch qui met toute son énergie à repenser le système de santé à la lumière de l’analyse systémique, et bien sûr à tous les militants, engagés, actifs, tenaces, déterminés, qui se mobilisent pour sa défense.

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