Pour son assemblée générale, l’UFC-Que Choisir de Brest avait réuni samedi le Dr Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui a révélé le scandale du Mediator, et son président national, Alain Bazot, qui venait pour la première fois à Brest. Tous deux ont rappelé le combat commun qui les a rapprochés et évoqué à bâtons rompus les nouveaux fronts ouverts pour la défense des consommateurs, en matière de santé et d’alimentation.
Comment votre rapprochement avec l’UFC-Que Choisir s’est-il produit ?
« Je n’ai jamais été militante, et il a fallu que l’affaire du Mediator me tombe dessus pour que je m’aperçoive qu’il y avait beaucoup de combats citoyens à mener, notamment pour les consommateurs et les usagers de santé que nous sommes. Il se trouve que j’avais été confrontée, au cours de mes études, à la toxicité d’un autre coupe-faim des laboratoires Servier, l’Isoméride, j’étais « pré-alertée ». J’ai démarré une enquête en 2007 avec mes collègues cardiologues brestois, je me suis rapprochée de la revue Prescrire qui travaille beaucoup avec l’UFC-Que Choisir. Peu à peu, toutes les pièces d’un puzzle se sont assemblées. En 2009, j’ai vu se dessiner les contours d’un crime industriel absolument exceptionnel par sa gravité. Le Mediator était un poison mortel commercialisé depuis plus de trente ans pour gagner de l’argent. L’instruction pénale a confirmé que le Mediator avait tué au moins 2.000 personnes, sans oublier tous les invalides cardiaques. Je me suis dit qu’il fallait faire retirer le Mediator, mais aussi s’occuper des victimes et porter plainte. En tant que médecin, j’ai voulu aller voir le procureur, mais on m’a dit que je ne pouvais pas le faire parce que je n’étais pas victime. Je me suis retrouvée impuissante, j’ai pensé à Que Choisir. Je connaissais, via un collègue médecin, une bénévole brestoise qui m’a appris que l’association avait la possibilité de porter plainte au nom des consommateurs pour tromperie. Cela a été le début d’une collaboration pour porter ce combat. Que Choisir est l’une des parties civiles au grand procès pénal qui va se dérouler sur plusieurs mois en 2019. Vingt-cinq personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel, le laboratoire, ses filiales, une partie de ses cadres, l’Agence du médicament pour négligence, et une partie de ses experts pour prise illégale d’intérêt ».
Un autre médicament, le Lévothyrox, fait parler de lui, qu’en pensez-vous ?
« Je vais vous donner mon témoignage, je suis moi-même traitée par Lévothyrox depuis dix ans. Quand il y a eu le changement de formule, pas de la molécule active mais de ce que l’on appelle l’excipient, j’ai trouvé cela bizarre. Quand il y avait eu des tentatives de sortir un générique, cela ne s’était pas bien passé. Biogaran notamment, qui est la marque des génériques de Servier, avait sorti un générique du Lévothyrox il y a quelques années, mais ils avaient dû arrêter rapidement parce qu’il y avait des effets secondaires. Donc cela m’a étonnée. Il se trouve que, pour moi, ce changement n’a rien fait, je n’ai pas été malade, je suis passée de l’une à l’autre formule sans ressentir de changement, comme 85 % des gens qui en consomment. En revanche, beaucoup de personnes ont eu des effets secondaires avec la nouvelle formule. C’est quelque chose dont l’Agence du médicament aurait dû se méfier en raison des précédents. C’était d’ailleurs l’explication donnée pour garder uniquement le Lévothyrox du laboratoire Merck en monopole en France ».
Mais quel est le pouvoir de l’Agence nationale de sécurité du médicament ?
« L’ANSM n’a pas le contrôle de la décision de fabrication. Ce n’est pas l’État mais des industriels privés qui ont la main et ils font ce qu’ils veulent, ce qui pose d’ailleurs énormément de problèmes. Tout est l’objet de négociations : les prix, les mises à disposition. C’est vrai pour le Lévothyrox, mais c’est vrai aussi pour bien d’autres médicaments. Cette année, on a eu un record du nombre de ruptures de stock pour des médicaments fondamentaux (*) qui rapportent très peu aux industriels. Ces derniers ont pu décider, par exemple, du jour au lendemain, de ne plus commercialiser un antibiotique très puissant dans les maladies vénériennes, maladies qui sont en augmentation. Et l’Agence du médicament n’a que le rôle d’organiser la pénurie, on n’a pas d’autres moyens d’intervention… C’est un peu flippant. Il faut une troisième force, l’union citoyenne au sein d’associations. J’ai compris brutalement avec le Mediator à quel point c’était nécessaire. Pour cela, il faut de la rigueur, de l’expertise et de la démonstration, parce que, de l’autre côté, il y a aussi d’autres pièges que sont les charlatans et les conspirationnistes ». (*) À ce jour, le site de l’ANSM recense sur son site 124 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur faisant l’objet de rupture de stock ou de difficultés d’approvisionnement.