La réforme fiscale américaine pourrait conduire au retour de « méga deals », selon EY.

Au Westin St. Francis, l’hôtel de San Francisco qui accueille jusqu’à mercredi la JP Morgan Healthcare, l’une des plus grosses conférences de l’industrie pharmaceutique, un thème revient en boucle dans les couloirs : la réforme fiscale. Les acteurs du secteur espèrent qu’elle va relancer les fusions-acquisitions alors qu’elles sont en recul depuis trois ans. Après un pic à 202 milliards de dollars en 2014, leur total est retombé à 95 milliards de dollars en 2017, selon Bloomberg. Et presque la moitié de ce montant est liée à seulement deux rachats : celui d’ Actelion , un spécialiste de l’hypertension artérielle pulmonaire, par Johnson & Johnson, et celui de  Kite , un pionnier des thérapies géniques contre le cancer, par Gilead.

Les mesures votées par le Sénat américain fin décembre – une réduction du taux d’impôt des sociétés de 35 % à 21 %, et une mesure  pour encourager les entreprises à rapatrier les centaines de milliards dollars stockés à l’étranger – devraient cependant donner un coup de fouet aux big pharmas américaines. A tel point que le cabinet de conseil EY envisage un retour de « méga deals comme nous n’en avons plus vu depuis presque une décennie ».

« Potentiels acquéreurs »

Avec 160 milliards de trésorerie en dehors des Etats-Unis pour Pfizer et 70 milliards pour Merck, les deux laboratoires américains représentent de « potentiels acquéreurs », note JP Morgan, en ajoutant que les Européens auront du mal à peser dans la balance face à la puissance des Américains. Mikael Dolster, le président de la R & D de Pfizer, a confirmé étudier « des opportunités d’accélération de la croissance, petites ou grosses », une déclaration prompte à relancer les rumeursde rachat de Bristol Myer Squibb, souvent cité comme proie possible d’OPA de sa part.

Le PDG de Merck s’est lui montré plus réservé : « notre stratégie est de nous concentrer sur l’innovation et non la consolidation », a déclaré Kenneth Frazier, en précisant que l’entreprise avait déjà la trésorerie nécessaire. L’effet de la baisse du taux d’imposition sera également limité : avec les différents abattements, le taux réel est déjà en dessous de 20 % pour les 11 entreprises de bio pharmacie américaines dont la valorisation dépasse les 50 milliards de dollars,  avance Bloomberg . Les sommes récupérées risquent également d’aller directement dans la poche des actionnaires : « notre priorité reste le versement de dividendes à nos actionnaires, suivie par des fusions-acquisitions au bon prix, au bon moment », a expliqué Dominic Caruso, directeur financier de Johnson & Johnson.

Revente d’activités secondaires

Un autre facteur pourrait cependant conduire à dégager de l’argent frais : la revente d’activités secondaires dans le cadre d’une stratégie de recentrage des groupes sur leur coeur de métier, estime Jane Hobson, directrice du groupe santé du cabinet d’avocats Baker McKenzie. Pfizer, qui a déjà réduit sa R & D de quatorze à cinq secteurs thérapeutiques en sept ans, envisage par exemple de  vendre son activité grand public, tout comme le géant allemand Merck KGaA. Eli Lilly réfléchit lui à la vente de son activité de santé animale et Novartis à celle de ses produits d’ophtalmologie.

Pour EY, une plus grande consolidation permettrait également de mieux répondre à l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché. Des entreprises chinoises aux géants de la Silicon Valley. « Nous devrions nous inquiéter de la manière dont Amazon va « disrupter » notre industrie », a plaidé Alex Gorsky, le PDG de Johnson & Johnson, en référence aux rumeurs d’arrivée du géant de l’e-commerce dans le secteur de la pharmacie.

L’immuno-oncologie, une cible

Les cibles potentielles sont surtout des biotechs dans des secteurs thérapeutiques clés, comme l’immuno-oncologie. Mais les big pharmas vont devoir mettre des sommes conséquentes sur la table : la hausse des investissements des fonds de capital-risque dans le secteur diminue la nécessité pour les start-up de se faire racheter aussi vite qu’avant et pousse leurs valorisations à la hausse.

Anaïs Moutot