LES FAITS
Mars 2017 : le laboratoire allemand Merck, à la demande des autorités sanitaires françaises, lance une nouvelle formule du médicament le plus utilisé par les malades de la thyroïde, le Levothyrox.
Dès le mois de mai,des patients signalent des effets secondaires indésirables. Dans un premier temps, la ministre de la Santé assure que « les effets vont s’estomper » puis enjoint Merck de remettre sur le marché l’ancien médicament, sous le nom d’Euthyrox.
Les patients affirment pourtant que ce médicament reste introuvable. C’est pourquoi huit d’entre elles ont saisi le cabinet d‘avocats amiénois Luzarches afin de porter plainte en leur nom avant la fin de cette semaine.
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« J’ai cru que je devenais folle, jusqu’à ce que ma pharmacienne me dise que son mari avait le même problème. Ça m’a rassurée. » Régine, 70 ans, de Grivesnes, n’est donc pas folle. Mais grossière, oui. « Pendant un temps, les deux seuls mots de mon vocabulaire étaient « connard » et « connasse ». Je n’osais plus sortir de chez moi », s’excuse cette dame par ailleurs fort polie. Les troubles de l’humeur sont une des conséquences constatées du changement de composition du Levotyrox, le médicament qu’elle est obligée de prendre quotidiennement, depuis qu’il y a onze ans, elle a été traitée par rayons pour un cancer du sein. « Mon taux était stabilisé, je n’y pensais presque plus », se souvient-elle avec nostalgie. Elle subit également, depuis le printemps dernier, de gros coups de fatigue et des problèmes de transit. Quand le Levotyrox nouveau est arrivé, en mai, la pharmacie ne lui a rien dit de spécial. « Au bout de six semaines, je me suis dit que quelque chose clochait », témoigne-t-elle. Depuis, elle peine à retrouver l’ancienne formule. « Ou alors une boîte par-ci par-là, mais je ne sais pas si je peux mélanger avec la nouvelle. »
« Je me suis mise à prendre du poids, à gonfler de partout alors que je n’avais rien changé à mes habitudes alimentaires. C’était même un sujet de disputes avec ma mère, d’autant que j’étais devenue plutôt agressive », retrace Élisa, 25 ans, d’Arras. Au début, fin mars, son pharmacien lui avait juste dit que la boîte avait « changé de couleur ». Dès le mois de mai, elle a compris que la modification était plus profonde. En plus de la prise de poids, explique-t-elle, « j’ai commencé à perdre mes cheveux, à être essoufflée au moindre effort, à souffrir des articulations ». « Je me dégoûtais, chuchote-t-elle. Je suis allée plusieurs fois à l’hôpital mais on traite les effets, pas la cause. D’ailleurs, mon dosage est toujours bon. Je ne sais plus quoi faire. Mon pharmacien me dit qu’il n’aura jamais l’ancienne formule. Et puis à quoi servirait-il de la reprendre si dans deux mois, ils la suppriment et m’obligent de nouveau à m’adapter à la nouvelle composition ? » La jeune femme a affronté il y a neuf ans un cancer de la thyroïde, qui a conduit à l’ablation de cette glande. « Depuis deux ans, j’étais stable… » souligne-t-elle.
Élisa et Régine font partie des huit patientes qui ont saisi le cabinet amiénois Luzarches afin de les représenter en justice. « Dans un premier temps, nous allons lancer une procédure civile, afin de faire condamner le laboratoire Merck à payer une astreinte tant que le médicament ne sera pas disponible dans les officines », annonce Me Hubert Delarue. Comme l’a fait un juge de Toulouse, le 8 novembre dernier, l’avocat a vérifié chez son pharmacien que l’ancienne formule du Levotyrox était introuvable, contrairement à ce qu’affirme le ministère de la Santé depuis octobre, ou alors dans des dosages marginaux, « 5 ou 250 mg alors que la grande majorité des patients ont besoin de dosages entre 100 et 150 ». C’est comme si un magasin de chaussures avait certes des souliers dans ses rayons, mais uniquement en pointures 30 ou 45.
« Dans le même temps, nous porterons plainte au pénal pour mise en danger de la vie d’autrui », complète Me Delarue. Ce sera contre X, quand bien même le laboratoire semble visé. « Mais l’État a aussi une grande part de responsabilité dans le manque d’information aux patients… »
À SAVOIR
La thyroïde est une glande qui sécrète des substances régulant le métabolisme. Elle est située à la face antérieure du cou. Si elle fonctionne mal, ou si elle a été ôtée à cause d’une affection allant jusqu’au cancer, le patient doit prendre un médicament en compensation. Le dosage, très précis, met parfois plusieurs mois à être établi.
Le Levothyrox corrige l’hypothyroïdie (l’insuffisance d’hormones). En France, on estime qu’il est prescrit à trois millions de patients, dont 80 % de femmes.
En 2012, l’Agence du médicament a demandé aux laboratoires Merck de modifier sa composition. La nouvelle formule a été lancée au printemps dernier. La molécule est la même. Seul un excipient, le lactose, a été remplacé par du mannitol. Environ 15 % des patients auraient souffert du changement. Ils ont rapidement fait circuler des pétitions et alerté les médias. Depuis août, plusieurs procédures judiciaires sont lancées.