« LEVOTHYROX : POURQUOI AVOIR CHANGÉ SA FORMULE ? ON NAGE EN HORMONE TROUBLE »
« LEVOTHYROX : POURQUOI AVOIR CHANGÉ SA FORMULE ? ON NAGE EN HORMONE TROUBLE »
L’affaire du changement de formule du Lévothyrox est rapidement passée du milieu médical au juridique. Les mentalités et les suspicions vis-à-vis du corps médical et des laboratoires pharmaceutiques ont donc changé considérablement au cours des dernières années comme l’a montré l’affaire du Médiator. Où se situent les responsabilités dans l’affaire du Lévothyrox ? Il n’est pas de mes compétences de donner un avis sur l’aspect juridique. En revanche, il serait souhaitable de rappeler, ce qui n’a pas été fait par mes confrères, les raisons scientifiques qui ont poussé à ce changement de formulation du médicament qui fait débat.
Le Levothyrox, « une révolution »
Le Lévothyrox® a été une révolution pour les patients souffrant de troubles de la thyroïde. Cette petite glande endocrine, située au niveau du cou, est essentielle pour le fonctionnement de l’ organisme : elle régule un grand nombre de fonctions métaboliques, joue un rôle crucial dans la régulation de la température corporelle, agit sur l’énergie musculaire, la digestion, le rythme cardiaque, la pousse des cheveux et est essentielle au cours de la croissance par son action sur les os et le système nerveux grâce à deux hormones qu’elle fabrique, la thyroxine ou T4 et la triiodothyronine ou T3. Ces deux molécules sont libérées dans le sang et agissent sur une autre petite glande endocrine située sous le cerveau, l’hypophyse. Celle-ci, à son tour, fabrique une hormone, la thyréostimuline ou TSH, qui agit en retour sur la thyroïde et la production de T3 et T4, formant ainsi une boucle de régulation qui existe également pour d’autres hormones. Le Lévothyrox®, diminue ainsi les taux de TSH en cas d’hypothyroïdie, ou restaure l’hormone thyroïdienne manquante dans le cas où l’ablation de la thyroïde a été nécessaire.
Ce qui est important de connaître dans ce mécanisme est la quantité d’hormone présente dans le sang. Celle-ci dépend de plusieurs facteurs, dont, en particulier pour le Lévothyrox®, de la biodisponibilité de la molécule. Les hormones thyroïdiennes libérées par la thyroïde sont captées par des protéines du plasma, la thyréoglobuline et l’albumine, qui retiennent une grande partie de ces hormones. Ce n’est que la part non fixée et donc libre qui est la molécule active. Il est donc nécessaire de savoir combien il y a d’hormone thyroïdienne libre par un simple dosage sanguin pour connaitre son efficacité. On appelle cela la biodisponibilité de la molécule, qui dépend aussi de sa demie-vie dans le sang qui est de 6 à 7 jours pour la T3 et la T4.
« Un médicament de survie »
Alors que des millions de patients en France (85% de femmes) ont besoin pour leur survie de Lévothyrox®d’une manière journalière, l’ANSM avait demandé dès 2013 aux laboratoires Merck-Serono de revoir la formule pour maintenir une « stabilité plus importante de la teneur en T4 tout au long de la durée de conservation du produit ». Cela signifie que la molécule était donc instable dans les boîtes vendues en pharmacie. On peut supposer et espérer que le laboratoire pharmaceutique a étudié préalablement ce phénomène de pharmacologie. De novembre 2013 à Juillet 2014, Merck-Serono a mené une étude en Allemagne chez 200 sujets sains pour évaluer les effets d’une nouvelle formule ne contenant plus de lactose mais de l’acide citrique et un autre sucre, le mannitol, en plus d’autres excipients. D’après cette étude sponsorisée par le laboratoire Merck-Serono, l’ancienne et la nouvelle formule ne présentent aucune différence sur différents paramètres fonctionnels, comportementaux et sanguins et ne changent ni le profil ni la tolérance du médicament.
Une étude qui peut laisser perplexe
Si l’on regarde de plus près cette étude, on s’aperçoit que les effets secondaires, principalement gastriques et comportementaux liés à des effets sur le système nerveux, sont identiques pour les deux formules. Cependant l’étude ne correspond pas vraiment à la réalité quotidienne des patients, même si cette étude a été réalisée selon les normes définies par l’ANSM. En effet, une dose de 600 microgrammes de Lévothyrox®est utilisée sur une journée et les tests réalisés un mois après. Or, le Lévothyrox®est prescrit pour des doses entre 50 et 150 microgrammes par jour, ce qui modifie naturellement la biodisponibilité qui est justement le critère en question. D’autre part, de grands écarts sont observés dans les taux de T3 chez les sujets étudiés. Si la conclusion d’une bioéquivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule a servi de base pour que l’ANSM accepte la mise sur la marché de la nouvelle forme de Lévothyrox® fin mars 2017, les aspects purement scientifiques de cette étude décrits ci-dessus peuvent laisser perplexes. Enfin la fixation d’une hormone sur un sucre différent peut modifier sa biodisponibilité et surtout sa fixation sur les protéines du sang. Les taux de TSH chez ces patients ne semblent pas avoir été clairement quantifiés.
Alors que le principe de précaution a souvent été utilisé, parfois à tort, par les autorités sanitaires, il serait grand temps, puisque les plaintes sur des effets secondaires de la nouvelle formule se multiplient, de prendre la seule décision adéquate, qui est de revenir à l’ancienne formule, et ce d’une manière non temporaire, tant que de nouvelles études soient réalisées pour mieux comprendre le phénomène. Rappelons que ce n’est qu’à la demande de l’ANSM, et donc seulement en France, que cette nouvelle formule existe. L’ASNM est actuellement très gênée dans ses conclusions car elle avait sans doute sous-estimé toute la subtilité et la finesse de la régulation du système neuroendocrinien mis en jeu. Elle propose aujourd’hui la mise en vente d’une autre L-Thyroxine® (Henning de chez Sanofi) qui n’a pas encore reçu l’autorisation de mise sur le marché, qui ne contient plus de mannitol (qui était considéré comme ayant aucun effet secondaire alors que d’autres données précisaient des effets notoires (référence Vidal), ni d’acide citrique ni de lactose comme l’ancienne formule, mais qui contient d’autres excipients tels que l’huile de ricin comme la L-Thyroxine® en gouttes de SERB.
Des nouvelles formules « pas plus miraculeuses »
Comme pour le traitement substitutif de la ménopause, les femmes (85% sous Levothyrox®) vont à nouveau ne plus savoir qui croire dans cette affaire. Il faut des mois et des dosages sanguins réguliers d’hormones thyroïdiennes et de TSH pour savoir si le système endocrinien est bien régulé. Peut-être le temps de se rendre compte que la formule Henning n’est pas plus « miraculeuse » que les autres. La vente de ces multiples produits va sans doute perturber à la fois les médecins devant prescrire cette hormone, les pharmaciens et les patients eux-mêmes. Est-ce que d’autres pays proches de nous, qui prescrivent l’ancienne formule du Levothyrox® sous le nom d’Euthyrox®, vont suivre les mêmes chemins tortueux que l’ANSM ? Devra-t-on se fournir à l’étranger pour obtenir ce médicament indispensable ? Il est temps de réagir et surtout de mieux comprendre scientifiquement pourquoi il y a eu cette augmentation des effets secondaires rapportés avec la nouvelle formule de Lévothyrox® demandée par l’Agence en raison de cette instabilité de la molécule ?
Cette affaire du Lévothyrox® met bien en évidence la variabilité individuelle en réponse à un médicament, et devrait servir d’exemple à la médecine du futur adaptée à chaque patient, comme est la réponse hormonale de chacun d’entre nous.