Fukushima : Les autorités japonaises commettent un crime contre l’humanité.

Trois ans ont passé depuis le tremblement de terre suivi d’un tsunami le 11 Mars 2011,
qui, faut-il le rappeler, a engendré l’explosion d’une centrale nucléaire dans le nord-est du
Japon. Dès lors, au coeur des préoccupations de la gestion des dégâts, se trouve celle des
hommes et de leur mobilité. Nous avions, en décembre de la même année, rédigé un bilan
précis des dégâts dans le secteur du logement, ainsi que du système de relogement des
victimes à la fois du tsunami et de la contamination nucléaire qui s’est très largement
répandue dans une partie de la région de Fukushima et des départements voisins¹. Le
gouvernement a fait état de 160 000 personnes déplacées, dont 100 000 à l’intérieur du
département et 60 000 à l’extérieur. Suite à la politique publique de retour à vivre dans les
territoires en grande partie contaminés, l’estimation officielle est aujourd’hui de 140.000
personnes réfugiées dans des proportions équivalentes: 100 000 au sein du territoire et 40
000 à l’extérieur. Néanmoins, ces chiffres officiels sont le fruit d’un système d’enregistrement
extrêmement contraignant, auquel une partie non négligeable des habitants n’a pas voulu se
plier². La population déplacée est donc notablement plus élevée que les statistiques officielles
ne nous le laissent entendre. Qu’en est-il aujourd’hui des réfugiés du nucléaires au Japon?
Quelle politique locale de protection des habitants a été mise en place au cours de ces trois
années de tentative de gestion d’un désastre mondial? Quelles sont les motivations des
autorités visant à contraindre la population au retour dans des zones pour partie encore
contaminées, en dépit du risque toujours présent et en l’absence de toute requête [de
retour]? Tels sont les quelques points que nous tentons d’élucider en partie dans ce dossier.
Les enjeux de la catastrophe
Par «catastrophe», nous désignons ce qui selon la définition de Jean-Jacques Delfour³ est
«l’effet normal d’une série de causes réelles et la mise en visibilité de cette série c’est à dire
des négligences, minimisations, contournements, refus de considération des risques créés».
Comme le rappelle le même auteur, cela désigne « une série causale strictement humaine technique
». Nous assumons ici le fait que « rien ne discrédite plus promptement un homme
que d’être soupçonné de critiquer les machines »⁴. Mais il est essentiel, lorsqu’on évoque la
gestion des flux migratoires par un gouvernement et afin de pouvoir comprendre les choix
effectués par celui-ci, d’en appréhender la politique tant intérieure qu’extérieure. En outre,
parmi les plus grands paradoxes qui ont suivi la catastrophe dont il est question ici, se trouve
la multiplication des accords internationaux en matière de nucléaire entre la France et le Japon
(Mitsubishi et Areva notamment) pour la construction de nouvelles centrales nucléaires et
l’exploitation de nouveaux gisements [d’uranium], plus particulièrement en Asie⁵. On notera
par ailleurs, mais c’est sans doute une coïncidence, la première participation en Juin 2014 du
groupe Mitsubishi à Eurosatory, le plus grand salon mondial de l’armement terrestre⁶.

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1. C.ASANUMA-BRICE (2011) : Logement social au Japon : Un bilan après la crise du 11 mars 2011, Revue Urbanisme, Nov.
2. C.ASANUMA-BRICE et T. RIBAULT: Quelle protection humaine en situation de vulnérabilité totale ? – Logement et
migration intérieure dans le désastre de Fukushima – Rapport dans le cadre du programme Nucléaire, risque et société de la
Mission Interdisciplinarité du CNRS (2012).
3. J.-J.DELFOUR (2014) : La condition nucléaire, réflexions sur la situation atomique de l’humanité, Paris, éditions L’échappée.
4.G.ANDERS (1956), L’obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle Paris, Éditions de
l’Encyclopédie des Nuisances, réédition 2002.
5. Entre autre sur le sujet : Le Monde 02/05/2013 : « Le Duo Mitsubishi-Areva va construire quatre réacteurs nucléaires en
Turquie ». Le Parisien (26/10/2013) : “Nucléaire: accord de partenariat entre Areva, Mon-Atom et Mitsubishi”.
6. Le Monde (16/06/2014) : « Le Japon revient dans la course aux ventes d’armes ». Dans une phase de préparation, en décembre 2012, s’est tenue à Fukushima la
Conférence Ministérielle sur la Sûreté Nucléaire de l’AIEA⁷ (Agence internationale de l’énergie
atomique), réunissant des représentants des pays du monde entier, afin d’y promettre le
développement de centrales désormais sûres et sans danger. La décision politique de
poursuivre et de développer l’énergie nucléaire était prise, engendrant la nécessité d’un retour
à la normale des plus prompts et à moindre coût. Les outils élaborés par la CIPR (Commission
internationale de protection radiologique) en radioprotection, basés sur des «notions de doses
collectives et des analyses coûts-bénéfices» sont utilisés comme fondement des calculs de
profitabilité en situation de risque. Selon la CIPR, la gestion du risque relève d’une équation
attribuant une valeur économique à la vie humaine, qui devra affronter le coût engendré pour
sa protection afin de déterminer la rentabilité ou non de la mise en place de cette protection.⁸
Comme le déclarait Jacques Lochard, membre du comité de la CIPR et directeur du CEPN
(Centre d’étude sur l’évaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire), lors d’un
entretien que nous avons mené en novembre 2013, «Ethos ne va jamais sans Thanatos ».⁹ Le
tout est de savoir de quel côté l’on souhaite faire pencher la balance. Attribuer une valeur
monétaire à la vie humaine matérialise certainement l’aboutissement le plus extrême de la
tendance à l’objectivation de l’être humain, devenu objet dans nos sociétés.
On peut découper en trois phases la politique de contrôle des flux de population en
fonction des directives énoncées via les plans de priorité annuels du gouvernement japonais
dans le contexte que nous venons de décrire.
Une politique de gestion des flux à rebours
La première étape a été mise en œuvre dans l’année qui a suivi la catastrophe. Il fallait
répondre à l’urgence, et cela a été fait notamment par l’ouverture à la gratuité du parc de
logements publics vacants sur l’ensemble du territoire afin d’y accueillir les victimes.
Hâtivement, la tentative de réconfort prend place à l’intérieur du département de Fukushima,
par la construction de l’illusion de la protection. Des mesures concrètes et visibles sont
réalisées.
Les logements provisoires sont bâtis en partie sur des zones contaminées, l’installation des
postes de mesure trafiqués et la décontamination, dont l’inefficacité a été rapidement remise
en cause, sont les plus flagrantes.
La répartition des logements temporaires d’urgence versus la répartition du
rayonnement
La fin de l’année 2012 marque le premier appel au retour via l’arrêt de la décision
nationale de gratuité des logements publics vacants sur l’ensemble du territoire, dont le choix
est désormais remis entre les mains des collectivités locales. Voici un des points
fondamentaux qui caractérise la gestion du désastre, à savoir le déplacement de la
responsabilisation. Déresponsabiliser les pouvoirs publics plus particulièrement
gouvernementaux au profit d’une responsabilisation des collectivités locales est le premier
degré de ce processus. Cela se traduit par un retard considérable dans les plans de
reconstruction, les collectivités locales concernées n’ayant pas les moyens de l’assumer. Ainsi,
ne pas reconstruire tout en appelant au retour en vantant une reconstruction fictive, garantit
un maintien des coûts à un niveau bien moindre comparé à celui des dépenses
qu’impliqueraient de véritables politiques de reconstruction. Mais surtout, les autorités, qui
travaillent à la fixation des populations dans le département afin d’assurer leur suivi statistique
et scientifique, ne sont pas prêtes à investir pour protéger ces populations qu’elles estiment
condamnées. Pourquoi investir dans des logements publics pour un département déjà
dépeuplé et amené à l’être encore plus ?
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7. 15 au 17 décembre 2012, s’est tenue à Fukushima la conférence ministérielle sur la sécurité nucléaire The Fukushima
Ministerial Conference on nuclear safety
8.F. ROMERIO (1994) : Energie, économie, environnement : Le cas de l’électricité en Europe entre passé, présent et futur, ed.
Librairie DROZ, Genève.
9. Entretien réalisé avec T. Ribault à Fukushima en nov. 2013. J. Lochard faisait ici référence au projet ETHOS établi par le CEPN
à Tchernobyl en 1986 et à Fukushima en 2012, visant à donner les connaissance de radioprotection à la population vivant dans des
territoires contaminés afin de permettre le glissement de responsabilisation que nous évoquons ici, soit l’auto-gestion de sa
protection.Logements temporaires à Aizuwakamatsu
en Mai 2012 – Photo Cécile Asanuma-Brice
Le second échelon vers une déresponsabilisation de l’Etat amène à faire peser la
responsabilité sur les individus qui se voient contraints à la gestion de leur vie dans un
environnement contaminé, ou encore confrontés au choix rendu impossible du refuge.
Pratiquement, le gouvernement ne propose aucune aide financière ou matérielle afin de
permettre aux gens qui le souhaiteraient de se réfugier. Moralement, une politique offensive
de communication est élaborée via des images préconçues et largement véhiculées de
l’impossibilité des japonais de quitter leur pays natal, visant à motiver l’abandon du départ.
S’il est évident que l’éloignement de sa terre est un déchirement d’autant plus fort lorsqu’il
s’agit de celle que l’on a cultivé le temps d’une vie, ce sentiment n’est pas propre au peuple
japonais. Par ailleurs, nombre des personnes que nous avons interviewées lors de nos
recherches, ont exprimé leur désir du refuge malgré leur attachement à la terre, mais elles
étaient confrontées à l’impossibilité matérielle de pouvoir mettre en œuvre leur désir [en
l’absence d’aide financière du gouvernement].¹º
Mesures à 1 mètre de hauteur > ou = à 0,20 μ Sv/h , ou 1752 μ Sv/an, soit 1,7 mSv/an
1 mSv (millisievert)=1 000 μSv
Limite autorisée pour l’exposition de la population civile aux rayonnements artificiels en
France (et au Japon avant l’explosion): 1 mSv / an / personne (Code de la santé publique, article
R1333-8).
Carte créée par Cécile Asanuma-Brice
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10. C.ASANUMA-BRICE(2013) Fukushima, une démocratie en souffrance, Revue Outre terre-Revue Française de géopolitique,
Mars.Rouvrir pour mieux guérir
Cette politique d’appel au retour se solde par la réouverture d’une partie de la zone à la fin
mai 2013. Cette politique de rétrécissement de la zone de restriction a des conséquences
financières importantes pour les personnes évacuées qui ont droit maintenant à moins de
compensation de la Tokyo Electric Power Company (Tepco). Donc, ce qui peut être une image
publique bonne mais imméritée des efforts de décontamination du gouvernement est une
mauvaise nouvelle pour les personnes qui trouvent maintenant leurs maisons déclarées
habitables quand en fait c’est une fiction car leurs maisons sont situées dans des villes
fantômes encore contaminées. En avril 2011, le gouvernement avait fixé une zone
d’évacuation de 20 km comprenant la ville de Futaba et 8 autres collectivités locales. La
totalité du périmètre est réorganisée. La zone de retour possible après décontamination (dont
le taux de contamination était en deça de 20 millisievert), la zone de retour « confus »
(difficile) (50 millisievert) ont été revues. La zone de règlementation spéciale qui recouvrait les
9 collectivités locales autour de la centrale, dans laquelle le retour n’était pas autorisé, est
totalement supprimée¹¹. Une population de 76 420 personnes est concernée par ces mesures.
67% d’entre eux, soit 51 360 personnes, se trouvent dans la zone de « préparation à
l’annulation de la directive d’évacuation » et peuvent se déplacer librement dans la zone
durant la journée afin d’entretenir leur habitat, [mais ne peuvent pas y rester la nuit].
L’annulation de la directive a été effective en partie en 2014. La zone de restriction de
résidence qui concerne 25 % des habitants (19230 personnes), permet l’entrée et la sortie
libre dans la journée, sans autoriser d’y travailler. La possibilité de revenir travailler dans la
journée concerne 42% de la population soit 32 130 personnes.
A Gauche: Carte de 2011 :
l’orange représente la zone d’évacuation;
le rose, la zone d’évacuation volontaire;
le jaune la zone de préparation à l’évacuation en cas d’urgence. 1er avril 2011¹¹
A Droite: Carte de la situation de la zone d’évacuation au 1er avril 2014:
le rose est la « zone de retour difficile » (plus de 50 millisieverts / an),
le jaune est la zone de résidence limitée (20 à 50 mSv / an), le vert est la zone de « préparation à
l’annulation de l’ordonnance d’évacuation  » (en dessous de 20 mSv /an). Juin 2014¹²
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11. Yomiuri, 9 mai 2013 : « Annonce du 7 mai 2013 par le comité de gestion des désastres nucléaires de la suppression de la zone
de surveillance spéciale jusqu’alors interdite à partir du 28 de ce mois. »
12. Fukushima Minpô, 23 juin 2014 : 3 ans après l’accident, tout à moins de 20 msv, mise en place de mesures après la
décontamination de la zone de retour confus, le gouvernement fait les comptes Néanmoins, les situations varient à l’intérieur d’une même collectivité. Les supermarchés,
centres de soins et autres services ne peuvent pas être remis en fonction, ce qui signifie que
ces zones restent inhabitables, rouvertes pour des raisons pratiques. Une partie des villes de
Okuma et Futaba sont utilisées comme zone test de décontamination, dans la perspective de
rouvrir au retour la zone pour préparation à l’annulation de la directive.
Soumettre par l’illusion de la protection : « résilions-nous ! »
La seconde phase de politique de contrôle des flux s’est traduite par la mobilisation d’outils
conceptuels, et principalement celui de la résilience. Le titre du Livre blanc du ministère de
l’enseignement et de la recherche japonais 2012 annonçait la couleur : « Toward a robust and
resilient society » («Vers une société solide et résiliente»). Les budgets de recherche se sont
alors orientés vers l’étude et la mise en œuvre politique de ce concept dans les domaines les
plus variés. Anglicisme provenant du terme resiliency, cette notion, dans le domaine des
sciences est d’abord utilisée en physique des matériaux pour décrire l’élasticité d’un corps qui
aurait la capacité de retrouver sa forme initiale après avoir accusé un choc. Emmy Wermer a
introduit cette notion en psychologie, via l’identification de facteurs qui auraient aidé certains
enfants à surmonter leurs traumatismes. Boris Cyrulnick a répandu ce concept en France. Les
cindyniques, sciences qui traitent des catastrophes (du grec κίνδυνος kíndunos danger),
utilisent aujourd’hui ce concept afin de déterminer des modèles qui permettraient à nos villes
de résister aux périls. Reconnaissant sa vulnérabilité face aux aléas, la ville serait dans la
nécessité d’adopter un caractère résilient afin de pouvoir di-gérer les multiples risques
naturels ou humains¹³. Dans le cas présent, tous les outils sont mobilisés et c’est un doux
mélange des approches développées concernant la résilience psychologique, écologique,
urbaine et tant d’autres encore, qui sont bravées afin de suggérer l’abandon de la fuite à ceux
qui obéiraient encore à leur instinct primaire d’angoisse face aux dangers. Parler de résilience
en cas de catastrophe nucléaire, c’est néanmoins faire fi du fait que la peur moteur de
comportements de protection est parfois salutaire.
Utiliser la résilience urbaine comme outil de gestion des catastrophes pose problème. Le
décalage est accru entre le territoire et les producteurs de l’espace, l’être est absent des
explications, qui prennent la ville comme objet, mais également comme sujet au sens d’être
vivant et autonome, qu’il faudrait ou supporter, ou tenter de soigner sans considérer qu’elle
n’est que chose, simple produit construit des humains. Le problème essentiel que cela
engendre est, là aussi, une déresponsabilisation¹⁴ des conséquences de l’action de l’être
humain sur son environnement. Cela entraine l’oblitération de l’être comme acteur de
production et de gestion des espaces, en tant qu’être vivant dans ces territoires, et anéantit
de fait l’inter-action entre le lieu de vie, le milieu, ses habitants, ses producteurs et ses
gestionnaires, ces trois dernières catégories pouvant être confondues. Ainsi, un expert de
l’université de Fukushima en charge de la protection contre les catastrophes, évoquait lors
d’un entretien effectué en juin 2014, la bonne résilience des japonais en cas de tremblement
de terre. Ses propos étaient schématisés sur une diapositive enseignant la bonne équation :
sur une balance se trouvait d’un côté un rond lourd représentant la résilience, et de l’autre un
rond lèger figurant la catastrophe. Selon cette représentation, plus la résilience est lourde et
plus les effets de la catastrophe seraient légers. Alors que je lui demandais ce que cela
signifiait concrètement pour lui, il me répond embarrassé par le fait que trois jours avant notre
entrevue, un tremblement de terre de magnitude 4 avait eu raison de ces concepts : « pour
nous, maintenant, il s’agit d’élargir les routes afin que les gens puissent fuir et que les
encombrements de 2011 ne se reproduisent pas en cas d’une nouvelle catastrophe car nous
les réinstallons au pied d’une centrale nucléaire encore instable». La nécessité de réduire la
distance présente grandissante entre la science et la conscience ne pouvait trouver d’exemple
plus manifeste.
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13. G. Djament-Tran, M. Reghezza-Zitt (2012) : Résiliences urbaines Les villes face aux catastrophes, ed. Le Manuscrit.
14. Cette déresponsabilisation provient de la coupure du lien entre les différents acteurs de production et de pratique de la ville
nécessaire à toute responsabilisation. Cf. J.Tronto « Le terme de responsabilité (…) renvoie à l’idée de « réponse », c’est à dire à
une attitude manifestement rationnelle. »(p.103), in Carol Gilligan, Arlie Hochschild, Joan Tronto (2013) : Contre l’indifférence
des privilégiés, éd. PayotDe la résiliance à la communication du risque

Le troisième stade de contrôle des mouvements de population a recours au domaine de
la communication sur le risque. Chaque année est un pas supplémentaire vers une plus
grande abstraction. L’Etat n’a de cesse d’appeler au retour, arguant la souffrance
psychologique des réfugiés générée par l’éloignement de leur pays natal¹⁵. Selon les experts
de l’université médicale de Fukushima et de l’AIEA qui se sont rassemblés le 24 novembre
2013 pour une conférence internationale sur la question, les troubles nerveux observés,
notamment chez les habitants des cités de logements provisoires ou des résidants des zones
«perçues» comme contaminées proviendraient entre autre, d’un surplus de protection. Le Pr
Hirofumi MASHIKO, neuropsychiatre au département de médecine de l’université de
Fukushima, explique ainsi que le port du masque, les restrictions diverses liées à l’utilisation
des cours d’écoles, des piscines, à la consommation de la nourriture, etc. seraient autant de
mesures stressantes à l’origine de désordres psychiques, notamment chez les personnes
présentant des prédispositions aux troubles mentaux. A aucun moment, il n’a été mentionné
l’éventualité que ces dépressions puissent être la conséquence de l’impossibilité de pouvoir
quitter les zones contaminées.
Afin de faire passer le message auprès des premiers concernés et de regagner la
confiance des citoyens, une véritable stratégie de communication est adoptée soutenue par un
budget spécifique pour l’année 2014 de plus de deux millions d’euros.
Cette politique agressive vise à « éduquer » aux risques sanitaires pour mieux rassurer,
notamment via l’organisation de workshop sur la radioactivité et le cancer destinés aux élèves
des classes primaires du département de Fukushima¹⁶ ou par la distribution de manuels
apprenant à gérer la vie dans un environnement contaminé¹⁷. Une stratégie
d’endoctrinement, au sens propre, ce qui signifie que la nécessité – qui est et ne peut pas ne
pas être – d’accepter la doctrine, s’applique désormais.

La ville de Tomioka dans la zone de
résidence limitée, 25 Octobre 2013.
Niveau de radiations: 3 µSv/h.
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15. Fukushima Minpô, 10 oct. 2013 : Le nombre de suicide en augmentation en raison de l’allongement de la période du refuge –
dans le département (de Fukushima), et dans les trois départements dévastés « Le ministère de l’intérieur a reconnu une tendance à
l’accroissement du nombre de suicides dans le département due à l’accident de la centrale nucléaire Daiichi et du désastre du Japon
de l’Est. Cette année jusque fin août le chiffre s’élève à 15 personnes, l’année dernière, sur une année, on dénombrait 13 personnes,
alors que le nombre de suicide était déjà monté à 10 il y a deux ans. Avec 5 fois plus de suicides que dans la préfecture d’ Iwate, le
département de Fukushima est celui des trois départements dévastés qui en compte le plus grand nombre. Les spécialistes montrent
du doigt la charge nerveuse que représente l’allongement de la période du refuge loin du pays natal. Il est à craindre que la
tendance à l’augmentation s’accélère, des mesures d’urgence deviennent nécessaires. »Trad. ABC
16. The 52nd Annual Meeting of Japan Society of clinical Ontology : Kids cancer seminar – Because you live in Fukushima there
is a necessity of education on cancer !
17. NHK, 10 juin 2014, un manuel apprenant à « vivre avec la radioactivité » est désormais distribué dans les collectivités.Affiche publicitaire optimiste
pour un événement dans une
école primaire de Fukushima
le 29 Mars 2014:
52e réunion annuelle de la Société
japonaise d’oncologie clinique:
séminaire sur le cancer des enfants
-Parce que vous vivez à Fukushima
l’éducation sur le cancer est
nécessaire!
Le gouvernement inquiet d’une recrudescence des décès
Plus de 1170 décès relatifs à l’explosion de la centrale nucléaire Tepco Daiichi de
Fukushima sont comptabilisés au 11 septembre 2014¹⁸. Cela inclut les décès parmi ceux qui
ont fui l’explosion et la contamination, et les travailleurs d’urgence à Daiichi. La population
vieillissante relogée dans des logements qui devaient être provisoires, est la première touchée
par ce fléau. Le droit au refuge n’ayant pas été accordé en dépit des recommandations faites
par le rapporteur aux droits de l’homme de l’ONU Anand Grover suite à sa mission au Japon
du 15 au 26 décembre 2012¹⁹, aucun accompagnement financier ne permet à ces habitants le
relogement qu’ils escomptaient. Leurs conditions sanitaires se dégradent au fur et à mesure
du temps qui passe alors que d’autres décident de partir à leurs frais devant l’instabilité
environnementale ingérable au quotidien. La chute dans une spirale de paupérisation touche
une partie d’entre eux, alors livrée à la dépression et à l’alcoolisme. Si l’on s’attache à la
répartition par ville des décès, les villes de Namie (333 décès), Tomioka (250 décès), Futaba
(113 décès) et Ôkuma (106 décès) adjacentes à la centrale dont les fuites d’eau contaminée
sont toujours hors de contrôle, comptent parmi leurs habitants 802 décès identifiés comme
conséquents de l’explosion de la centrale. 55 d’entre eux ont été enregistrés ces six derniers
mois. Le journal Fukushima Minpô, tirait la sonnette d’alarme dans un article du 21 juin
2014²º rapportant les propos du Ministère de l’intérieur sur le nombre de suicides en
recrudescence.

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18. le nombre de morts relatifs au nucléaire dépasse les 1100 personnes, avec une augmentation de 70 personnes en 6 mois Tôkyô
Shinbun, 11 sept. 2014
19. Report of the Special Rapporteur on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard of physical and
mental health, Anand Grover, ONU, Mission to Japan (15- 26 November 2012).
20. les suicides en rapport avec l’accident ne s’arrêtent plus à l’intérieur du département de Fukushima, Fukushima Minpo, 21
juin 2014.L’accroissement du nombre de cancer de la thyroïde ou la guerre des
experts
La multiplication du nombre des cancers de la Thyroïde doit également être prise en
compte dans le bilan des conséquences sanitaires de l’explosion de la centrale. Selon la
commission d’enquête du département de Fukushima dont les résultats ont été rendus publics
le 24 août 2014, 104 enfants de moins de 18 ans, parmi les 300 000 composant l’échantillon,
ont été diagnostiqués comme étant atteints d’un cancer de la thyroïde²¹.
L’Association japonaise des chefs de clinique (JACRI) estime que le taux naturel de cancer
de la thyroïde au Japon est de 1 à 3 personnes par million.
Des voix d’épidémiologistes, à l’intérieur comme à l’extérieur du Japon, se lèvent pour
contrer la position soutenue par les experts de la commission départementale de Fukushima
selon laquelle ces cancers ne seraient pas conséquents à l’explosion de la centrale. Ces
derniers justifient l’augmentation du nombre de cas de cancer de la thyroïde par l’effet de
screening, soit le perfectionnement des outils radiologiques actuels qui, s’ils permettent une
détection plus affinée des maladies, empêcheraient par là-même toute comparaison avec les
données antérieures. En suivant cette même logique d’une tentative de réconfort morale des
habitants, visant à la fois la réouverture de la zone d’évacuation afin d’y reloger la population
au plus vite, et le redémarrage prévu de deux centrales en septembre–octobre 2014, le
Ministère de l’environnement soutient dans un rapport rendu public le 17 août 2014 via la
chaîne du gouvernement TV-internet²², 5 journaux nationaux et deux journaux locaux, qu’en
deçà de 100 msv/an, aucune conséquence ne serait visible sur la santé²³. Un premier rapport
avait déjà été publié par le gouvernement en février 2014, spécifiant la faible dangerosité
sanitaire d’un environnement à 100 msv/an comme celui d’un environnement à faible dose²⁴.
Le Professeur TSUDA Toshihide de l’université d’Okayama, spécialisé en épidémiologie, a remis
en cause publiquement, point par point, l’enquête de l’université Médicale de Fukushima qu’il
estime erronée, spécifiant d’une part que le rapport de l’OMS (Organisation Mondiale de la
Santé) de 2013²⁵ notifie clairement une augmentation présente et à venir du nombre de
cancer à Fukushima, d’autre part que la position du gouvernement japonais niant les
conséquences sanitaires en deçà de 100 msv est une aberration scientifique que peu
d’épidémiologues étrangers se risqueraient de prononcer²⁶.
Le professeur Keith Baverstock, épidémiologiste, doyen de l’université de Finlande et
ancien membre de l’OMS, dans une lettre ouverte à l’UNSCEAR²⁷ s’en prend quant à lui aux
résultats présentés dans le rapport de l’UNSCEAR 2013, en précisant que ce rapport n’est paru
que trois ans après l’enquête sur laquelle il est fondé en raison des querelles entre les
membres qui composent la commission. L’un de ces membres, le Dr Wolfgang Weiss, s’était
notamment opposé à la publication de ce document qui conclut à la négation d’un
accroissement du nombre de cancer en rapport avec l’explosion de la centrale de Fukushima.
Néanmoins, le document ne nie pas le fait que l’accident n’est en rien fini, puisque, selon les
déclarations de TEPCO (mai 2014), la radioactivité s’échappe toujours de la centrale dans
l’océan Pacifique et dans l’air²⁸.
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21. Cancers de la thyroïde, 104 personnes atteintes, enquête sur 300 000 enfants de Fukushima, Asahi, 24 Août 2014
22. Dr Keiichi Nakagawa (Associate professor, Tokyo University Hospital)
http://nettv.gov-online.go.jp/prg/prg10283.html?t=115&a=1
23. Rapport rendu public le 17 août 2014 sous le titre “Pour une connaissance exacte sur la radioactivité” dans cinq journaux
nationaux : Asahi, Mainichi, Yomiori, Sankei, Nikkei, et deux journaux locaux : Fukushima Minpô et Fukushima Minyû.
24. http://www.reconstruction.go.jp/topics/main-cat1/sub-cat1-1/20140218_basic_information_all.pdf
25. WHO, Health Risk Assessment, 2013.
26. TSUDA Toshihide, « Autour des 100 msv, sur les expressions qui multiplient les malentendus » Revue Science, Iwanami, Mai
2014, p. 534-540.
27. Keith Baverstock, « 2013 Unscear Report on Fukushima : a critical appraisal », datée du 24 août 2014.
28. http://csrp.jp/posts/1466Un remède aux migrations : la communication
Devant les querelles de certains experts, d’autres, qui émanent néanmoins des mêmes
organisations (OMS, AIEA, CIPR²⁹) tranchent le débat de façon plus directe. Ce fut le cas lors
des deux journées consacrées au 3e
Symposium des experts internationaux à Fukushima,
organisé par la fondation Sasakawa et l’université Médicale de Fukushima les 8 et 9 septembre
2014. Le titre annonçait le dépassement des querelles épidémiologiques pour enfin atteindre
les sommets prometteurs de la résilience et de la reconstruction : «Beyond Radiation and
Health Risk – Toward Resilience and recovery » (« Au delà des radiations et des risques pour la
santé – Vers la résilience et la reconstruction »).
Pour Abel Julio Gonzales, Académicien à l’Académie d’Argentine des sciences
environnementales et de la mer, qui, tout en étant membre de l’UNSCEAR, occupe la fonction
de membre à la commission sur les normes sécuritaires de l’IAEA, tout est une question de
communication. Après avoir répété à maintes reprises que la protection a un coût et que le
refuge ou la migration d’une partie de la population ne pouvait être un but, celui-ci souhaite
revenir sur les mots. La peur des habitants serait notamment due, selon lui, au terme
« contamination » qui, référant à la pathologie, accable l’irradiation d’une image négative,
alors que les radiations nous viennent également du soleil. Idée reprise par Emilie Van Deveter
(OMS) qui propose l’organisation de workshop sur l’irradiation au même titre que sur le soleil,
afin d’enseigner les connaissances de base sur la question aux enfants d’écoles primaires.
« Quoiqu’il en soit, conclue-t-elle, nous devons gagner le pari du coût-bénéfice ». Pour ce faire
et afin de stopper l’hémorragie de population constatée, créer un sentiment de sécurité est
désormais la tâche que se donne Jacques Lochard de la CIPR, notamment « en faisant
accepter aux habitants ce nouvel élément qui fera désormais parti de leur quotidien : la
contamination ». Tous s’accordent à dire qu’il n’y a pas suffisamment de données afin
d’évaluer la contamination interne de la population, mais quoiqu’il en soit, cela ne semble pas
être au sein des préoccupations. Selon J. Lochard (CIPR), il ne s’agit pas de fixer un seuil,
mais de « redonner confiance aux gens en cassant le processus de fuite qui proviendrait
d’archétypes comme Tchernobyl par les mesures individuelles, et permettre ainsi l’autogestion
du quotidien dans un environnement contaminé ». Il reprend pour se faire, les
méthodes proposées par un membre du Ministère de la Santé israëlien, M. Ishay OSTFELD, un
des participants du second symposium organisé par l’université médicale de Fukushima et
l’AIEA du 21 au 24 novembre 2013. Comme le rappelait M. Ostfeld, « Israel generally uses as
a model for its medical response to terror, thus his experience may also serve in the field of
radiation terror. »³º. « Israel l’utilise généralement comme modèle pour la réponse médicale à
la terreur … ainsi cette expérience peut également servir dans le domaine de la terreur du
rayonnement. » Celui-ci proposait alors des techniques utilisées en temps de guerre en Israël
permettant d’atteindre la résilience, soit l’organisation de petits groupes de résidents
convaincus, disséminés sur le territoire, en charge de rassurer la population avoisinante. Ce
travail a été effectué à Fukushima par la CIPR via les workshop ou dialogues du programme
Ethos Fukushima dont le 9e
a été organisé en août 2014.
La logique n’est donc pas de mettre en place la protection suite à un désastre via les outils
publics de protection sociale, mais de les détourner au service de la décision politique. Il ne
s’agit en rien d’un complot, mais de l’application d’une planification de gestion des flux de
migrations dans un contexte de catastrophe nucléaire par un Etat qui a opté pour la poursuite
de l’industrie nucléaire sur son territoire. On peut néanmoins se demander si les experts
fermement assurés de la valeur de leurs postulats psychologiques quant aux possibilités
illimitées de manipuler l’opinion ne devraient pas revoir leur copie face aux conséquences
macabres qu’un état des lieux nous a permis de mettre en évidence.
————————————-
29. OMS =Organisation Mondiale de la Santé, IAEA = International Atomic Energy Agency, ICRP = International Commission on
Radiological Protection.
30. Programme de la conférence, Conférence universitaire internationale: radioprotection, Santé et Société: Implications postFukushima
pour la formation professionnelle de la santé 21-24 Nov. 2013, p.79.Présentation de l’auteur : Cécile ASANUMA-BRICE, spécialisée en sociologie urbaine, est chercheuse associée au Clersé – Univ.
Lille 1 et au centre de recherche de la Maison Franco-Japonaise de Tôkyô. Résidente permanente au Japon depuis 2001, auteur de
nombreux articles sur la gestion de la catastrophe nucléaire de Fukushima, elle a participé à/ou organisé un grand nombre de
conférences sur ce même thème en France comme au Japon. Entre autres références :
 2014, Co-organisation « Avant et après le désastre de Fukushima : l’impossible échappée ? », colloque et projection de
Gambarô (Courage !), film documentaire sur la condition des survivants du désastre nucléaire ; Maison franco-japonaise Tôkyô,
13 juin
 2014, Co-organisation avec A. Gonon, T. Ribault, Symposium « Making the Right to Health a Reality after the Fukushima
Disaster: Obstacles and Perspectives », Doshisha University, Kyoto, 22 mars
 2013, Fukushima, une démocratie en souffrance, Revue Outre terre-Revue Française de géopolitique, mars.
 2013, Retour sur Fukushima, Interview France Culture, émission Terre à Terre par Ruth Stegassy, oct.
 2013, La mémoire de l’oubli, une forme de résistance à la résilience, Après le désastre, réponses commémoratives et
culturelles, Université de Tôkyô, 8 Mars.
 2013, co-organisation colloque « Protéger et soumettre à Fukushima », Maison franco-japonaise Tôkyô, 15-16 octobre.
 2013, Responsable scientifique, PEPS Mission interdisciplinarité du CNRS (Expertise, controverse et communication entre
Science et société) : Les controverses scientifiques face à la responsabilité civique.
 2012, Co-organisation du colloque Citizen-Scientist International Symposium on radiation protection, 23-24 juin,
Inawashiro, Fukushima.
 2012, Co-responsable scientifique ; Quelle protection humaine en situation de vulnérabilité totale ? – Logement et migration
intérieure dans le désastre de Fukushima – dans le cadre du programme Nucléaire, risque et société de la
MissionInterdisciplinarité du CNRS.
 2011, Logement social au Japon : Un bilan après la crise du 11 mars 2011, Rev

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