On avait raison…De mettre en cause le césium
1EFFETS DE CONTAMINATIONS CHRONIQUES PAR INGESTION DE CESIUM 137 OU
D’URANIUM SUR LA STEROÏDOGENESE TESTICULAIRE CHEZ LE RAT
E. Grignard, Y.Gueguen, J-M. Lobaccaro, P. Voisin, P. Gourmelon, M. Souidi
Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, Direction de la RadioProtection de
l’Homme, Service de RadioBiologie et d’Epidémiologie, Laboratoire de
RadioToxicologie Expérimentale IRSN/DRPH/SRBE/LRTOX, BP n°17, F-92262
Fontenay-aux-Roses cedex, France
Le risque sanitaire d’exposition chronique des êtres humains aux radionucléides
(césium, uranium,…) existe du fait de leur présence naturelle ou accidentelle dans
l’environnement. En effet, suite à l’accident de Tchernobyl, des radionucléides tel que le
césium 137 (émetteur b et g) ont été rejetés dans l’environnement (notamment en
Biélorussie, en Russie et en Ukraine). L’uranium (émetteur a) est un radionucléide présent
naturellement dans les roches, le sol, l’air et l’eau. Sur la planète, les niveaux d’uranium
contenus dans l’eau peuvent varier d’un facteur supérieur à 1000. De plus, l’utilisation
d’uranium appauvri ou enrichi à des fins civiles (avions, centrales nucléaires) et militaires
(obus, tanks…) pourrait accroître la présence de ce métal lourd et radioactif dans
l’environnement. Par conséquent, il est nécessaire d’évaluer les risques d’une contamination
du public par ingestion de ces radionucléides.
Au sein de notre laboratoire, différentes études menées in vivo ont montré des effets
biologiques du césium et de l’uranium sur des métabolismes clés, tels que le métabolisme
des xénobiotiques, de la vitamine D et du cholestérol (Gueguen et al., 2007; Souidi et al.,
2005; Souidi et al., 2006; Tissandie et al., 2006a; Tissandie et al., 2006b; Tissandie et al.,
2007). Un autre métabolisme clé en physiologie, le métabolisme des hormones
stéroïdiennes, indispensable à la reproduction, n’a cependant pas encore été étudié.
Pourtant, des atteintes testiculaires ont été observées chez les liquidateurs de Tchernobyl
(Cheburakov et al., 2004), ainsi que des altérations de la spermatogenèse chez des
rongeurs sauvages des zones contaminées (Mamina, 1998). D’autre part, il a été rapporté
que la fonction reproductrice de militaires ayant reçu des éclats de métaux contenant de
l’uranium appauvri est perturbée (McDiarmid et al., 2002). Par ailleurs, une exposition
chronique de souris mâle à de l’uranium induit une diminution de la fertilité de ces animaux,
en dehors de toute perturbation de la spermatogenèse (Llobet et al., 1991). Enfin, chez le rat
l’uranium enrichi induit des modifications morphologiques des spermatozoïdes (Zhu et al.,
1994).
La stéroïdogenèse testiculaire permet la formation d’hormones stéroïdes nécessaires
à la mise en place et au maintien des fonctions testiculaires indispensables à la
reproduction. À partir du cholestérol, le précurseur commun, les réactions enzymatiques
menant à ces divers stéroïdes sont accomplies par des enzymes appartenant à la famille
des cytochromes P450, ou des stéroïdes déshydrogénases. Ces enzymes sont
essentiellement soumises à des régulations de type transcriptionnel via les récepteurs
nucléaires.
Aujourd’hui, les effets cellulaires et moléculaires de contaminations chroniques par le
137Cs, l’uranium appauvri ou enrichi, sur le métabolisme stéroïdien, sont inconnus bien que
suspectés. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés, au niveau moléculaire, aux effets
biologiques induits par une ingestion chronique, à des faibles doses, de ces trois
radionucléides sur la stéroïdogenèse testiculaire. Afin de mimer des situations de
contaminations à de faibles niveaux, nos expériences ont été menées sur des rats adultes
contaminés par ingestion chronique de radionucléides dilués dans l’eau de boisson. Pour le
137Cs, une dose de 150Bq/rat/jr (6500Bq/L) a été utilisée, qui correspond à un niveau post2
accidentel dans les territoires contaminés. L‘uranium appauvri et l’uranium enrichi ont été
administrés à la dose de 1mg/rat/jr (40mg/L), concentration deux fois plus importante que la
dose maximale naturellement observée, et n’induisant pas de néphrotoxicité. Ces
contaminations ont été réalisées pendant 9 mois, ce qui correspond approximativement à
vingt ans chez l’homme.
L’utilisation de notre modèle expérimental a permis de montrer que la contamination
à l’uranium enrichi (UE) induit la surexpression (supérieure à 100%) des ARN messagers
des trois cytochromes intervenant dans la stéroïdogenèse (cyp11a1, cyp17a1, cyp19a1). Par
ailleurs, une augmentation (supérieure à 100%) de l’expression des ARNm de l’enzyme (5a-
réductase, 5a-R1) catalysant la production d’une forme plus active de la testostérone
(dihydrotestostérone) a aussi été mise en évidence.
Le cholestérol est transporté au niveau de la membrane interne de la mitochondrie,
où se situe la première enzyme de la stéroïdogenèse, par la protéine StAR (Steroidogenic
Acute Regulatory protein). Les messagers de ce transporteur sont présents en quantité plus
importante (plus de trois fois) dans les testicules d’animaux contaminés à l’UE.
Les ARNm des récepteurs nucléaires régulant les enzymes de la stéroïdogenèse
sont modulés par ces radionucléides. En effet, l’expression génique du récepteur aux
androgènes (AR) est augmentée (13%) lors d’une contamination chronique à l’UA. Ce
récepteur, activé par la testostérone et la dihydrotestostérone, régule négativement la
CYP17a1, induisant ainsi un rétrocontrôle négatif de la production d’androgènes
testiculaires. L’expression du récepteur LXRb est stimulée à la fois lors de contaminations au
Cs et à l’UE (supérieure à 100%), alors que l’expression de LXRa est augmentée (22%) lors
d’une contamination au Cs et celle de FXR est diminuée de 25%. Les LXR (Liver X
Receptor) régulent positivement l’expression des messagers du transporteur StAR et de
l’enzyme 3b-HSD, stimulant ainsi la production de testostérone (Volle and Lobaccaro, 2007).
Le récepteur nucléaire FXR (Farnesoid X Receptor) contrôle la production de testostérone
testiculaire en induisant l’expression du récepteur SHP (Small Heterodimer Partner). Ils
régulent négativement l’expression des gènes star et cyp11a1 (Volle et al., 2007). L’uranium
enrichi induit de plus une stimulation d’expression des ARNm des récepteurs nucléaires
RXRa (175%), PPARg (109%), SF-1 (65%), ainsi que GATA-4 (87%). PPARg (Peroxisome
Proliferator-Activated Receptor) est activé par des proliférateurs de peroxysomes, molécules
qui inhibent l’activité de la 3b-HSD (Hierlihy et al., 2006). Le récepteur SF-1 (Steroidogenic
factor 1) active l’expression basale de l’ensemble des enzymes stéroïdogènes testiculaires
(Val et al., 2003). Quant au récepteur GATA-4, il régule positivement l’expression du gène
star (Manna et al., 2003). Le récepteur RXRa forme des hétérodimères obligatoires avec
PPAR, LXR et FXR.
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Notre étude montre, pour la première fois, qu’une contamination chronique par
ingestion à faible dose de 137Cs ou d’uranium induit des modifications moléculaires de la
stéroïdogenèse testiculaire. Il semble que ce soient les effets combinés de la radioactivité et
d’un métal lourd qui induisent ces modifications. En effet, parmi les trois radioéléments
utilisés, l’uranium enrichi (qui a des caractéristiques chimiques et radiologiques) est celui qui
induit le plus de modifications moléculaires. Il affecte à la fois les enzymes, les transporteurs
et les récepteurs nucléaires intervenant dans le métabolisme stéroïdien testiculaire. Des
études complémentaires sont en cours afin de déterminer si ces modifications
transcriptionnelles sont associées à des variations du taux plasmatique de diverses
hormones impliquées dans ce métabolisme (FSH, LH, testostérone, oestradiol).
cholestérol
prégnénolone
progestérone
testostérone oestradiol
Récepteurs
nucléaires :
LXR, RXR, AR, …
UA
UE
137Cs
CYP11a1
3b-HSD
CYP17
CYP19
Transporteur :
StAR
dihydrotestostérone
5a-R1
caractères sexuels mâles,
croissance,…
Représentation schématique du métabolisme testiculaire de la testostérone
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