Entretien. Professeur Aurengo : “Le principe de précaution freine l’innovation”
Ses arguments scientifiques peuvent déranger ceux dont le progrès bouleverse les certitudes. Son franc-parler est un antidote aux idées reçues diffusées par des associations souvent militantes et relayées par des médias parfois ignorants. C’est un appel à la raison que lance ici le professeur Aurengo.
Diplômé de l’École polytechnique, membre de l’Académie de médecine depuis 2005 et membre du Haut Conseil de la santé publique, André Aurengo est chef du service de médecine nucléaire de la Pitié-Salpêtrière. Spécialiste des pathologies thyroïdiennes, il a notamment soigné des enfants ukrainiens victimes de la catastrophe de Tchernobyl. Membre du comité d’experts sur les champs électromagnétiques créé conjointement par les trois Académies (sciences, médecine et technologies), il a participé à la rédaction de rapports sur les risques des techniques d’imagerie médicale et de la téléphonie mobile. En plus de ses activités professionnelles, André Aurengo apporte son concours scientifique aux pouvoirs publics comme au monde industriel.
Régulièrement consulté par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, il siège au comité scientifique de l’Association française pour l’information scientifique, qui s’est fixé pour mission de promouvoir la science face au sensationnalisme. Ancien membre bénévole du conseil scientifique de Bouygues, il est toujours président du conseil médical d’EDF – ce que lui reprochent certains de ses opposants.
Il a participé à la rédaction de Politique de santé et Principe de précaution (Puf, 2011) avec quatre autres scientifiques, Dominique Lecourt, Marcel Tubiana, Daniel Couturier, Claude Sureau. L’objet de cet ouvrage est de lutter contre la confusion des esprits et de marquer la distinction entre risques avérés et risques hypothétiques. L’un des combats du professeur Aurengo est aujourd’hui de réhabiliter la légitimité de l’expertise scientifique.
Beaucoup de gens n’ont plus confiance en la science, alors que le XIXe siècle valorisait le progrès. Comment expliquezvous cette évolution ? J’y vois la conséquence des deux phénomènes. D’une part, la confiance a été ébranlée par des affaires comme le sang contaminé, la vache folle, le Mediator. Mais on ne peut pas ignorer que certains contempteurs de la science mènent un combat politique. Les idéologues de l’écologie rejettent les progrès scientifiques pour accroître leur influence. L’expertise est disqualifiée au profit de la peur qui fait vendre. Dans l’esprit des gens, tout ce qui est nouveau devient a priori dangereux.
Quelle est la responsabilité des médias ? Ils sont utiles au débat scientifique, mais la plupart ne prennent pas la mesure des informations qu’ils diffusent. Ils confèrent une même légitimité aux experts et aux non-experts, ce qui crée la confusion dans l’esprit du public. Ils se saisissent d’un sujet quand un problème surgit ou quand une peur apparaît. Quand il est démontré que la peur est infondée, les médias n’en rendent pas compte, ou presque pas. Si les choses étaient rapportées de manière équitable, la population pourrait se faire un avis objectif.
Le principe de précaution est-il un frein à la recherche ? Le principe de précaution freine l’innovation et verrouille le système. Il conduit à considérer les risques hypothétiques comme s’ils étaient avérés et à prendre des mesures extrêmes : c’est ainsi qu’on arrache les OGM ou qu’on enlève des antennes-relais de téléphonie mobile, au mépris des constats scientifiques.
La question des antennes-relais inquiète les Français. La justice a été saisie à plusieurs reprises. Qu’en pensez-vous ? Les ondes diffusées par une antenne-relais ont un seul effet biophysique : un échauffement dérisoire de quelques millièmes de watt, à comparer aux quelque 70 watts de notre organisme ! Mais le nombre de procès est infime par rapport au nombre d’antennes installées et dans la grande majorité des cas, les juges ont débouté les plaignants.
Pour vous, la confusion la plus grave est celle qui mélange science et politique… Prenons un exemple : en 2009, sous l’égide de l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail), un groupe multidisciplinaire de scientifiques a travaillé pendant dix mois à la réalisation d’une expertise collective faisant le point sur l’impact des radiofréquences, en particulier de la téléphonie mobile. Ce rapport rendait des conclusions très rassurantes, mais a été présenté de manière alarmiste par la direction de l’Afsset, probablement pour ne pas fâcher certaines associations.
Quelles sont les conséquences d’une telle attitude ? Le mépris de la science conduit les politiques à des décisions irrationnelles. Par exemple, diminuer le niveau d’émission des antennes conduirait à les multiplier et à augmenter l’exposition des usagers. Autre exemple : on a interdit les canalisations d’eau potable en plomb par peur du saturnisme, alors que celui-ci provient de la peinture au plomb sur les murs des habitats insalubres – pas des canalisations ! Et l’Assemblée nationale demande l’interdiction des parabènes (utilisés depuis plus de quatre-vingts ans) sans qu’il existe de produit de remplacement bien étudié.
Les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima ont marqué les esprits. La peur du nucléaire n’estelle pas fondée ? Se focaliser sur le nucléaire – en réalité l’une des énergies les moins dangereuses – est paradoxal. Le nombre de morts liés au charbon est beaucoup plus élevé que celui dû à Tchernobyl : un mort par jour, en moyenne, dans les mines d’Ukraine, des milliers par an en Chine… À Fukushima, il n’y a eu à ce jour aucun décès du fait des radiations. Les doses relevées permettent d’espérer que le nombre de morts n’excédera pas quelques cas. Il ne s’agit pas de transiger avec la sûreté, mais il faut être réaliste par rapport aux risques et aux risques comparés.
Le débat sur la sortie du nucléaire vous semble-t-il opportun ? Un débat est nécessaire, mais il suppose de bien en exposer les éléments, au carrefour de la science, de l’économie, de la technologie et du politique. On ne peut pas fonder une décision sur du “ressenti”, en ignorant les rapports de l’Autorité de sûreté nucléaire, qui donne les avis techniques les plus pertinents sur l’état des centrales, ou sans savoir que, dans une centrale vieille de trente ans, tout a été changé. Il n’y a plus rien d’origine, sauf la cuve et le bâtiment réacteur, qui peuvent durer soixante ans. Il est nécessaire de prendre du recul et de considérer globalement la question de la production énergétique.
À quel point la défiance envers la science affecte-t-elle notre pays ? Un pays industriel ne peut pas se passer de la science à haut niveau. La France était en avance sur les techniques OGM, qui seront un jour indispensables pour accroître les rendements, réduire les pesticides et faire face aux problèmes de disponibilités hydriques. Ce travail était profitable pour la société, ne serait-ce que pour ne pas être tributaires d’entreprises étrangères. Ce domaine est aujourd’hui sinistré, les chercheurs sont partis à l’étranger ou font tout autre chose. L’arrêt de la recherche OGM est une catastrophe nationale. Le public ne s’en rend pas compte.
On vous a beaucoup reproché une accointance avec le monde de l’industrie. J’ai été pendant dix années administrateur d’EDF, représentant l’État, non rémunéré. Et j’ai conseillé un temps Bouygues Telecom, bénévolement. Je suis toujours président du conseil médical d’EDF. Il est fondamental que les industriels prennent en compte la science et les questions de santé que sous-tend leur activité ; que ne dirait-on pas s’ils ne le faisaient pas ? Il est rassurant qu’ils prennent l’avis de gens compétents et pas d’experts autoproclamés. Depuis plus de trente ans, l’espérance de vie a augmenté de trois mois par an. Un mois est dû aux médecins, deux mois à la prospérité économique. Aller aider dans leurs décisions des entreprises qui concourent deux fois plus que moi à l’espérance de vie, est-ce condamnable ?
Quelles solutions préconisez-vous ? Je plaide pour un système rationnel en quatre étapes : les experts doivent évaluer les risques, puis analyser les différents scénarios de gestion de risques, leurs coûts, leurs bénéfices, leurs effets indésirables. Cela est une affaire de professionnels. Ensuite, il faut que le public s’exprime, la démocratie c’est ça. Enfin, la quatrième étape est le choix politique pris par les autorités légitimes. Il s’agit d’asseoir les décisions sur un corpus raisonnable d’analyses scientifiques et de tenir compte de tous les facteurs, y compris non scientifiques.
Propos recueillis par Sabine Carion
À lire
Politique de santé et Principe de précaution, Puf, 2011.
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Mais qui est ce professeur Aurengo ?
Publié le 19 juin 2008
Je ne résiste pas au plaisir de récidiver, ce jeudi 19 juin 2008, et de vous livrer un second petit papier. Vous devez être au courant : un groupe d’une vingtaine de scientifiques, dont des cancérologues, viennent d’épauler un appel de David Servan-Schreiber qui met en garde contre l’usage des téléphones portables (ici).
Fort bien ! Sauf que d’autres scientifiques leur sont immédiatement tombés dessus, et de quelle manière admirable… L’Académie de médecine, et en particulier André Aurengo, (ici), ont aussitôt brâmé. Mais qui est Aurengo ? Je ne ferai pas d’autre commentaire que celui ci-dessous, qui ne m’appartient pas. Lisez et imaginez tout le reste (ici) ! L’Acro est une association à la réputation (scientifique) indiscutée.
Comment un autocrate, le Pr Aurengo, a trahi une démarche participative
Communiqué du 5 mai 2006 sur « le rapport sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France »
Rapport rédigé par André Aurengo et transmis, le 18 avril 2006, aux Ministres de la Santé et des Solidarités et de l’Écologie et du Développement durable.
Le groupe de travail, présidé par André Aurengo, avait été constitué à la demande des Ministres chargés de l’Environnement et de la Santé, de deux gouvernements successifs : tout d’abord Messieurs Yves Cochet et Bernard Kouchner puis confirmé par Monsieur Jean-François Mattei et Madame Roselyne Bachelot en 2002. Ce groupe de travail était chargé, principalement, d’établir à partir des données existantes une cartographie de la contamination du territoire français, suite à l’accident de Tchernobyl, et devait réunir « de la manière la plus ouverte possible les experts et les acteurs intéressés par cette question ».
De fait, M. Aurengo, dont les positions en faveur du nucléaire sont notoires, (tendant toujours à minorer les effets des radiations en général, et, en particulier les conséquences de Tchernobyl) avait réussi à composer un groupe de travail relativement pluraliste : si des institutionnels tels que l’IRSN étaient représentés, étaient également présents des médecins, des représentants d’associations et des journalistes.
En réalité, ce groupe a toujours eu un fonctionnement scandaleux ; quelques réunions ont eu lieu en 2003, une en 2004, aucune en 2005… En 2006, un certain nombre de participants croyaient la commission morte et enterrée. Ces réunions organisées de façon totalement aléatoires n’étaient pas, pour la plupart, précédées d’ordre du jour ni ne donnaient lieu à un compte rendu. Elles étaient totalement soumises au bon vouloir de M. Aurengo qui a profité de cette commission pour régler ses comptes avec l’IRSN. Il l’accusait d’avoir, dans sa dernière carte, donné une vision trop pénalisante de la contamination post Tchernobyl en France. Un comble !
Les membres de la commission n’ont jamais donné aucun mandat à M. Aurengo.
C’est après les dernières réunions qui furent houleuses qu’il a renoncé à réunir cette commission. M. Miserey, journaliste, avait donné sa démission. L’ACRO avait également menacé de le faire devant l’inanité des travaux, la partialité affichée par M. Aurengo et le manque de moyens donnés à la commission : là où il aurait fallu un travail de contre-expertise d’envergure, il n’y avait même pas de quoi payer les frais de route des participants !
M. Aurengo a donc œuvré, seul, au sein de l’IRSN, sous prétexte d’agir dans le cadre des travaux du groupe de travail. Pourtant il n’avait aucun mandat particulier pour agir ainsi, ni gouvernemental ni de son groupe. L’argumentaire selon lequel, il aurait été pris par le temps nous paraît totalement fallacieux. La commission existait depuis 3 ans, mais elle est devenue fantôme par la volonté de son président, seul habilité à la convoquer. Souhaitait-il avoir les mains libres et s’en servir comme paravent pour produire un énième rapport personnel sur les conséquences de Tchernobyl ? Probablement, et ce serait une grave imposture.
La mission gouvernementale a été totalement trahie : Le sens de ce travail reposait sur sa pluralité. Un des objectifs recherché par les pouvoirs publics était, entre autres, d’avoir un rapport sur Tchernobyl, un peu moins contesté que d’habitude.
Le Pr Aurengo a donc rédigé seul ce rapport. Il a été remis aux Ministres le 18 avril 2006. Les membres de la commission n’en ont eu connaissance que le 24 avril au matin par un courrier électronique accompagné du dit rapport. Le courrier du Pr Aurengo, aux membres de la commission explique que ce rapport a été rédigé « en son nom propre, […] avec l’accord des Ministres et dont j’assume toute la responsabilité ». Or, comble de la malhonnêteté cela n’apparaît aucunement dans le rapport qui est voué à être rendu public.
Nous sommes associés de fait à ce rapport remis aux Ministres par M. Aurengo. Ainsi l’amalgame entre ce document et le travail de la commission paraît évident au public. Nous apparaissons comme coauteurs, bien malgré nous. Seule une lettre privée, qui par ailleurs nous congédiait, explique notre non-implication dans ce travail. La fourberie est manifeste.
Pour une démarche participative de qualité : La pluralité, la transparence, la tolérance d’opinions divergentes sont nécessaires. M. Aurengo n’en a que faire ! Du mandarinat à l’autocratie, il a largement franchi le pas et dans ses certitudes n’a que faire de l’avis d’autrui. Ce n’est pas avec ce genre de conduite que la parole publique retrouvera un minimum de crédibilité quand il s’agit de nucléaire, en général et de Tchernobyl en particulier.
Nous sommes scandalisés et tenons à dénoncer les manœuvres honteuses orchestrées par le Pr Aurengo.
Nous demandons au gouvernement de ne pas tenir compte de ce rapport.
Ce communiqué est signé par les membres, du groupe de travail « sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France », suivants :
Pierre-Jacques Provost, journaliste
Michel Deprost, journaliste
Pour l’ACRO : Sibylle Corblet Aznar, Jean-Claude Autret
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Source : http://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=313