L’association Française des Malades de la Thyroïde a rencontré Paul Lannoye le 18 mars en Belgique.

Paul Lannoye a été député Européen de 1989 à 2004, et était responsable au Parlement en tant que rapporteur sur les normes de radioactivité, il a gardé de bons contacts…
Et de ce fait membre du Comité Européen sur le Risque de l’Irradiation(CERI)
Paul Lannoye nous a promis son aide et l’apport de nombreux scientifiques européens compétents en la matière, qui ont travaillés sur les risques liés à l’irradiation.
L’association veut avoir des conseils de scientifiques européens, indépendants au niveau des anatomopathologies des tumeurs prélevées et de la signature du nucléaire sur celle-ci au niveau notamment des cellules souches.
Tchernobyl n’est pas un procès de gauche contre la droite, mais un procès qui est celui du plus grave accident du nucléaire civil depuis l’histoire de l’humanité et de sa gestion catastrophique en France par nos responsables de l’époque.
C’est un procès qui appartient à tous, car hélas il y a énormément de risques que d’autres Tchernobyl se reproduiront tant que l’humanité n’aura pas tiré les leçons et les sonnettes d’alarme d’un monde dans lequel le choix de l’énergie sera le premier débat dans les mois à venir…

PAUL LANNOYE:

Ancien député européen, expert sur L’évaluation des risques liés à une exposition aux radiations, telle qu’adoptée aujourd’hui par les experts en radioprotection et qui sert de base à la législation européenne en vigueur et qui est grossièrement insuffisante et scientifiquement obsolète.
Le CERI ne se contente pas d’analyser les insuffisances du modèle adopté par les experts officiels pour rendre compte des effets de la radioactivité sur l’homme, il en propose une approche nouvelle. Les scientifiques du CERI recommandent en conclusion des valeurs-limites plus sévères pour les doses reçues par le public et les travailleurs du nucléaire et, en conséquence, une réévaluation des exigences légales à l’égard de l’industrie nucléaire.

Pollution durable
Quand on évoque, dans les milieux officiels et dans la grande presse, les risques du nucléaire, on se limite généralement à la problématique des déchets et aux hypothétiques catastrophes. Les déchets sont reconnus comme posant problème à très long terme; on disposerait donc de tout le temps nécessaire pour trouver la solution, sachant que l’enfouissement à grande profondeur semble bien être la piste à privilégier; quant aux catastrophes, elles n’arrivent qu’ailleurs, là où la technologie n’est pas süre. En outre, nous disposerions d’un système de radioprotection performant qui protège efficacement les populations?
La réalité est sensiblement différente de cette vision idéalisée.
Le comportement des politiques et des techniciens « responsables » du nucléaire est en permanence conditionné par le souci de la santé du secteur. Les pratiques en oeuvre consistent à :
• Ignorer le plus possible les pays voisins et leur imposer des nuisances hors de tout consentement;
• Négliger largement le suivi post exploitation;
• Exporter les activités vers les sites et pays de contrôle social minimal;
• Désinformer sur les conséquences des accidents et sur les risques de l’irradiation;
• Adapter les normes de radioprotection aux exigences de l’industrie.
Les risques de l’exposition à la radioactivité ont fait l’objet de très nombreuses études et recherches depuis Hiroshima et Nagasaki; ces études et recherches effectuées, à l’origine, dans un contexte de guerre froide et de secrets d’état et ensuite dans une perspective de promotion de l’énergie nucléaire dite pacifique (AIEA, Euratom) ont conduit à l’adoption de recommandations et de normes sous la houlette d’un collège d’experts accrédités (la CIPR ou Commission Internationale de Protection contre les Radiations).
En Europe, les normes adoptées dans le cadre du traité Euratom sont largement le reflet des recommandations de la CIPR. Aux yeux de nombreux scientifiques indépendants, les modèles CIPR sont erronés et ne rendent pas compte des données épidémiologiques disponibles.
Comme physicien, rapporteur du Parlement européen sur la directive 96/26/Euratom et co-initiateur de la contre-expertise du CERI 1, je partage l’analyse critique émise par ce groupe de scientifiques et cautionne totalement leurs recommandations. La thèse défendue par le CERI est la suivante : « l’évaluation des risques liés à une exposition aux radiations est grossièrement insuffisante et scientifiquement obsolète ». Le CERI ne se limite pas à analyser les insuffisances du modèle adopté par les experts officiels, il propose une approche nouvelle. Il se base pour ce faire sur les données épidémiologiques disponibles et introduit pour le calcul des doses reçues des facteurs de pondération biologiques et biophysiques qui rendent compte des effets biologiques au niveau cellulaire pour tous les types d’irradiation, particulièrement à la suite d’une contamination interne.
Les modèles officiels (CIPR) ont été établis à partir des données relatives aux survivants d’Hiroshima et Nagasaki. Ces données extrapolées aux cas d’irradiation par contamination interne (ingestion ou inhalation) conduisent à une sous-évaluation des risques dès lors qu’on adopte une approche où l’inhomogénéité de la dose aux cellules-cibles est ignorée ou sous-estimée. La contamination par certains radio-isotopes particuliers est éminemment problématique; c’est le cas des émetteurs séquentiels comme le strontium 90, des émetteurs ß de faible énergie comme le tritium et des particules chaudes de plutonium ou d’uranium lorsqu’elles se fixent dans l’organisme.
La catastrophe de Tchernobyl, malgré la rétention d’information, la volonté de ne pas savoir des autorités politiques russes, biélorusses et ukrainiennes et la complicité tacite des gouvernements occidentaux, a permis de mettre en évidence les lacunes du modèle CIPR:
• L’augmentation d’un facteur 7 des mutations d’ADN chez les enfants nés après l’accident, par rapport aux enfants nés de mêmes parents auparavant, révèle une erreur d’un facteur 700 à 2000 dans le modèle CIPR pour ce cas particulier;
• L’augmentation du taux de leucémies infantiles chez les enfants exposés in utero au cours de la période d’exposition au rayonnement interne établit une marge d’erreur de 100 à 2000 du facteur de risque pour cette maladie.
En conclusion, le CERI propose un ensemble de recommandations visant à minimiser le risque tant pour les travailleurs que pour les populations. Il estime que la valeur limite annuelle pour la dose (recalculée en tenant compte des nouveaux facteurs de pondération) reçue par les personnes du public doit être de 0,1 mSv (soit 10 fois moins que la norme actuelle) tandis que, pour les travailleurs exposés, elle serait de 5 mSv (contre 20 mSv actuellement).

Exiger plus de rigueur pour la protection des populations s’inscrit à contre-courant des propositions irresponsables actuellement déposées par la CIPR et le Codex Alimentarius qui visent à faire accepter une contamination généralisée à faible niveau dans tous les produits commercialisés, y compris les aliments. Ils affirment pour se justifier que les risques induits sont négligeables, ce qui ne résiste pas aux arguments du CERI.
Peut-on considérer qu’une catastrophe nucléaire est acceptable?1
Depuis quelques temps, les plaidoyers en faveur d’une relance de la production d’électricité nucléaire, se multiplient. Après Jean-Pierre Hanssen, président de Suez, François Cornélis, vice-président de Total, déclarait il y a quelques jours qu’on ne pourrait se passer du nucléaire à l’avenir.
On ne peut que constater le conformisme intellectuel et l’absence de vision de personnalités, il est vrai, soucieuses avant tout des intérêts financiers de leur groupe.
Ces messieurs ne disent rien de ce qu’implique leur choix en matière de sécurité. Pas un mot bien sûr sur les risques de contamination radioactive liés à un accident nucléaire. Ils savent pourtant depuis 1986 que ces risques sont bien réels. Tchernobyl, c’était il y a 20 ans. Ce fut une catastrophe sans précédent qui a fait d’innombrables victimes et a contaminé de larges étendues de territoire en Biélorussie, en Ukraine et en Russie. Même en Europe de l’ouest, certaines régions sont à ce jour encore contaminées par la radioactivité au point que les produits animaux qui en sont originaires restent impropres à la consommation, de l’aveu même de la Commission européenne.
Pour le lobby nucléaire et les institutions qui lui sont inféodées (AIEA), tout cela serait fort exagéré : en fin de compte, il n’y aurait que (!) quelques milliers de cas de cancer de la thyroïde chez les enfants (pour la plupart curables) et au plus quelques milliers de victimes directes, l’essentiel des problèmes de santé étant d’ordre psychologique; un nouveau terme a même été créé pour la circonstance, la radiophobie.
En conclusion, un accident grave dans l’industrie nucléaire aurait certes des conséquences potentiellement graves mais en fin de compte limitées et socialement acceptables pour peu qu’on y soit préparé.
Préparons-nous donc avec soin à une telle éventualité. Tel est le message lancé avec la caution de l’Union européenne à destination des peureux que nous sommes.
Le projet SAGE (Stratégies pour le développement d’une culture de protection radiologique pratique pour l’Europe en cas de contamination radioactive à long terme suite à un accident nucléaire) est un projet de recherche européen dont le message est on ne peut plus clair : un accident nucléaire grave est possible en Europe de l’ouest et il faut s’y préparer. Ses conclusions ont été présentées à Paris les 14 et 15 mars 2005.
Le projet SAGE a fait suite au projet ETHOS et au programme CORE, ciblés sur la Biélorussie et qui avaient pour but officiel d’améliorer les conditions d’existence des populations vivant en territoire contaminé depuis la catastrophe de Tchernobyl. En réalité, ces deux programmes introduisent le concept de réhabilitation d’un territoire contaminé, laissant ainsi entendre qu’il est possible de rendre vivable une région qui ne l’est pas. Certes dira-t-on : mieux vaut se préparer au pire tout en minimisant les risques. Pour succéder aux réacteurs actuels et en supposant que le choix nucléaire soit à nouveau légitimé, deux options sont possibles. La première consiste à programmer la construction de nouveaux réacteurs selon un calendrier compatible avec les fermetures prévues. Mais il existe une seconde option qui consiste à prolonger la durée de vie des réacteurs au-delà des 40 ans prévus. Cette option, a d’ores et déjà été retenue aux Etats-Unis où une bonne dizaine de réacteurs ont obtenu une licence d’exploitation jusqu’à 60 ans. Elle fait l’objet de sérieux débats en Europe.
On voit tous les avantages tant économiques que stratégiques de cette seconde option :
• Seuls certains composants de l’équipement des réacteurs devraient être remplacés ce qui limite drastiquement les coûts d’investissement. Le coût de production du kWh ne pourrait qu’en bénéficier.
• Les délais prévus pour une prise de décision en temps utile seraient fortement réduits. La loi belge de sortie du nucléaire permet même d’invoquer la force majeure pour justifier cette seconde option.
Mais il est plus important de s’interroger sur les implications en matière de sécurité. Le fonctionnement du réacteur provoque en effet un vieillissement physique, sous forme de corrosion et de « friabilisation » des matériaux liée à leur irradiation; ceci concerne notamment la cuve du réacteur dont il faut rappeler qu’elle n’est pas remplaçable. Au-delà d’une durée de vie normale, ces mécanismes de vieillissement peuvent accroître dangereusement les risques d’accident grave.

Il serait élémentaire que les « responsables » politiques évoquent ce scénario plutôt que de cautionner le silence coupable des industriels et des experts.
Minimiser les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, nous préparer à vivre en territoire contaminé par la radioactivité et taire les risques bien réels de l’industrie nucléaire en Europe, tout cela relève d’une grande cohérence dans la manipulation de l’opinion?
Il est plus que temps que les démocrates se réveillent.
Paul Lannoye
Docteur en Sciences
Député européen honoraire
1 carte blanche publiée dans Le Soir du 22/03/2006 sous l’intitulé : « Nucléaire : attention au conformisme »

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